Origine des évangiles : synthèse en 4 pages

Articles parus :
● Au fil des « routes de la soie », le tissage des Évangiles

Par l’Abbé Louis-Marie BUCHET

● 3 articles sur l’apostolat de l’apôtre Thomas (voir plus bas)

Comment les Apôtres méditaient-ils l’Évangile ? … et comment au final l’ont-ils composé, tissé ?
La lecture linéaire habituelle en Occident ne permettant pas de donner de réponse précise à cette question, plusieurs exégètes et chercheurs ont eu l’intuition, voilà bientôt un siècle, de se pencher sur la façon dont les Églises apostoliques de l’Orient méditent, comprennent et se transmettent les Évangiles depuis toujours. Ils sont ainsi parvenus, à l’école de l’Orient, à remonter à quelques dix-sept colliers évangéliques, avec chacun sa structure et sa forme propre, composés à l’oral par les Apôtres ou Notre-Dame dans leur langue, l’araméen, et enrichis d’une multitude d’échos entre les perles d’oralité à la façon d’une rivière de perles qui scintille au Soleil de la Vérité… d’un divin tissage ! Suite de cet article en PDF

Un grand merci à son auteur !

● Sur l’apostolat de l’apôtre Thomas : 3 articles

Thomas, l’apôtre globe-trotteur !

par ✐ Sabine PEROUSE, juillet 2023 (ici en PDF)
URL : www.eecho.fr/origine-des-evangiles-synthese-en-4-pages/#trotteur.

Le 3 juillet, l’Eglise catholique fête Thomas. L’apôtre suscite de nombreuses recherches au sujet des voyages qu’il aurait faits pour apporter la Bonne Nouvelle. Et selon des découvertes récentes, il aurait tenté d’évangéliser dans le port indien de Pattala, et même jusqu’en Chine!

Nous retenons surtout de saint Thomas son doute devant l’annonce de la Résurrection. Mais en Orient, il est connu non pas comme celui qui a douté ‒ bien commode pour justifier d’être incrédule (Jn 20, 25) mais comme celui qui a touché. C’est une nuance intéressante. De plus, nos Frères chaldéens qui ont gardé l’araméen (la langue de Jésus) pour la liturgie et la Parole, l’appellent « Juda Thomas », Juda étant son prénom et Thomas son surnom signifiant jumeau (didyme en grec) pour le différencier des deux autres Juda apôtres: Juda l’Iscariote, l’homme de Kerioth, et Jude-Thadée ou Thaddaï, c’est-à-dire le chouchou en araméen.

Qu’est-il devenu après la Pentecôte ?

Jusqu’au début du XXe siècle, les manuels d’histoire de l’Eglise utilisés dans les séminaires parlaient encore des voyages de l’apôtre Thomas. Puis on a dit que ces traditions ne valaient pas grand-chose. Sans doute à cause des courants gnostiques qui, vers la fin du IIe siècle, ont fabriqué un « évangile de Thomas » pour justifier leur doctrine… Par ailleurs, si les Actes des Apôtres décrivent en détails les déplacements des disciples dans l’Empire romain, nous sommes peu renseignés sur ce qui s’est passé à l’Est de ce dernier. Or le Christ a dit: « Allez dans le monde entier ». N’aurait-il parlé que de l’univers méditerranéen? N’oublions pas que l’Incarnation intervient au sein d’une civilisation moyen-orientale, et au carrefour des grandes routes commerciales vers l’Extrême-Orient.

Or depuis quelques décennies, apparaissent divers études sur les éléments culturels, historiques et religieux de l’Orient du Ier siècle de notre ère. On y redécouvre par exemple qu’au fil des siècles, les diverses déportations des Hébreux (vers l’Est) ont engendré de petites communautés, développant une économie locale tout en restant fidèles au pèlerinage de Jérusalem, chaque année sabbatique. « Selon une lettre de saint Jérôme, toute la grande Eurasie dispose d’un réseau de routes anciennes, attestées depuis la plus haute Antiquité… la diaspora juive va jusqu’à Kaifeng, ville chinoise, et de Cyrène jusqu’en Inde », relève Marion Duvauchel (1). Puisque Jésus avait demandé à ses disciples d’annoncer la Bonne Nouvelle en priorité aux « brebis dispersées d’Israël », il fallait que des apôtres tentent d’aller là-bas. Ainsi les Arméniens se réclament-ils de Barthélemy, et les chrétiens de l’Inde de Thomas. A cette époque, les gens voyageaient beaucoup, à pied ou en bateau (à l’aide de l’astrolabe, voir la carte ci-contre).

Un témoignage venu d’Arménie

D’Arménie nous vient un précieux témoignage. Grâce à une traduction de l’arménologue belge Michel van Esbroeck, en 1995, on peut lire la très ancienne prière du patriarche Sahak III (élu en 667) pour ses frères chrétiens d’alors:

"Dieu saint, Toi qui es fort et immortel, aie pitié de nous! Mais aussi des Egyptiens, des Africains, des Indiens de l’ouest, des Ethiopiens, des Romains, des Hispaniques, de la vaste nation des Francs, des Indiens de l’est, des Chinois, des Assyriens, de ceux de la nation des Huns, et des peuples du Caucase" >(2).
De même, le bréviaire chaldéen indique: "Par saint Thomas, les Indiens ont abandonné les erreurs de l’idolâtrie. Par saint Thomas, les Chinois et les Ethiopiens se sont tournés vers la vérité… ils ont confessé le Père, le Fils et le Saint-Esprit" (3).

Des colloques internationaux ont donc été organisés ces dernières années pour faire le point sur l’avancée des recherches sur cet apôtre: à Paris en 2012, avec l’Aide à l’Eglise en Détresse (4), à Kochi au Kerala (Inde), concernant traditions locales et vestiges archéologiques (5) et à Rome fin 2021 (Actes pas encore parus).

Révélations sur l’Hymne à la perle

C’est ainsi qu’inséré dans « Les Actes de Thomas » , apocryphe connu par un grand nombre de manuscrits et daté du début du IIIe siècle, a pu être repéré un récit plus ancien, très différent. Il relate, écrit à la première personne, la mission de l’apôtre, en parallèle à sa propre méditation sur son lien avec Jésus. Ce texte appelé L’Hymne à la perle a longtemps été considéré comme un conte oriental sur un fils de roi devant arracher la plus belle des perles à un dragon. Mais sa composition a révélé « un style typiquement oral, poétique, en araméen… Clairement antérieur au reste du texte, il apparaît comme la confession d’un des apôtres, à propos des difficultés de sa mission » (6). Autrement dit, il nous apprend que Thomas a tenté d’évangéliser dans le port indien de Pattala, et qu’en voulant composer avec l’hindouisme, sa mission échoua. Cet échec l’a profondément atteint et même plongé dans un état dépressif. Mais puisant dans son cœur le trésor des Paroles du Christ, il revint joyeux à Jérusalem…
D’autres sources font savoir qu’il ne consacra des évêques que dans deux familles de brahmanes, ce qui montre son attachement à la tradition juive des lévites. Enfin, au dernier colloque (fin 2021), où plusieurs chercheurs indépendants ont recoupé leurs travaux, il a été confirmé que l’apôtre apporta la Bonne Nouvelle jusqu’en Chine, comme en témoignent les Chroniques des Hans postérieurs (voir Dimanche N°45 du 19 décembre 2021).

On peut déduire de tout cela que Thomas était courageux, tenace, rationnel et organisé. Et que sa relation avec le Christ ressuscité l’avait marqué à vie, lui permettant de surmonter épreuves et difficultés pour le faire connaître « jusqu’aux extrémités de la terre » .

  1. Marion Duvauchel, Saint Thomas l’apôtre de l’Eurasie, Ed. Docteur angélique, 2021
  2. Maxime Yevadian, https://www.academia. edu/42833840.
  3. Breviarium chaldaicum, Paris, 1886-1887, vol. 3, p. 476-478
  4. Actes parus sous la direction d’Edouard M. Gallez csj, AED, Paris 2013
  5. The Acts of Judas Thomas in Context (dir. Joji Kallingal & Maxime K. Yevadian), LRC Publications, Kochi-India, 2020.
  6. Pierre Perrier, Retour à la Source, Ed du Jubilé, 2021

L’évangélisation via la route de la soie

par ✐ Sabine PEROUSE, déc. 2021 (ici en PDF)
URL : www.eecho.fr/origine-des-evangiles-synthese-en-4-pages/#via

Quel est l’état actuel des connaissances concernant l’Église naissante ? Quelle certitude peut-on en avoir, vingt siècles après la première Pentecôte ? Des experts internationaux ont été invités à Rome pour faire le point…

« Enquête sur l’histoire des premiers siècles de l’Église » , c’est le titre du colloque exceptionnel qui vient de se tenir au Vatican grâce au Comité pontifical des Sciences historiques, en partenariat avec l’Université catholique de Lyon. Par une approche interdisciplinaire, il a réuni une large palette de scientifiques d’origine et de disciplines variées. Historiens, anthropologues, exégètes bibliques de divers courants, archéologues, linguistes, universitaires de haut niveau ont donc mis en commun l’objet de leurs dernières conclusions.

Elles révèlent que l’annonce de la Bonne Nouvelle a très vite été répandue vers l’Asie ! On a maintenant une idée des axes de circulation des biens et des personnes, notamment grâce aux Routes de la Soie. Empruntées avant notre ère par les vagues d’émigration successives du peuple hébreu, elles comportaient des comptoirs dans les différentes implantations de celui-ci. Autant de haltes-relais pour les marchands d’épices à l’aller et de soie au retour, mais aussi pour les messagers chrétiens.

La première belle surprise vient d’un chercheur chinois David Linxin He, Maître de conférences, à la Sorbonne. Il a présenté la découverte, en Chine, d’une inscription qui rend hommage à la « Mère du Fils de l’Homme »… sur un objet datant du 2e siècle après J.C. ! Il s’agit du verso d’un miroir, décoré avec raffinement de caractères en chinois archaïques qui se traduisent par : « Faire un miroir divin – Vénérer le Dieu Unique – La Mère vertueuse regarde le Fils de l’Homme – Elle a reçu le Roi de Lumière – L’incarner fut sa lourde mission ».
Cela bouleverse la représentation que l’on a de l’évangélisation de l’Empire du Milieu !

Les témoignages arméniens sur les chrétiens d’Extrême-Orient méritent également d’être connus. À son retour de Rome, l’historien Maxime Yevadian, titulaire de la Chaire d’Arménologie (Lyon), m’en explique la base : Le tournant de l’histoire arménienne est à coup sûr la conversion de son roi Tiridate III le Grand, grâce à l’évangélisation du pays par l’apôtre Barthélemy. Il poursuit : Cette conversion précoce a été à la source d’une culture chrétienne puissante qui s’est épanouie, après 405, avec la création d’un alphabet national de 36 lettres destiné à traduire la Bible. Son rôle d’historien lui permet de rendre compte des relations entre l’Arménie et l’Inde avant la conquête par l’islam. Il a ainsi exposé les sources théologiques arméniennes sur la présence de l’apôtre Thomas en Inde, sa fondation de l’Église locale et la dévotion des arméniens pour le lieu de son martyre. Autant d’éléments que nous, catholiques occidentaux, considérions facilement comme des légendes.

D’autre part le Taïwanais Shueh-Ying Liao (Université de Bordeaux) a fait, en tant que linguiste, une nouvelle analyse des archives chinoises. Il y a relevé ce qui est nommé la « Religion lumineuse », le christianisme, et son influence dès le 1er siècle. Il confirme l’hypothèse d’une évangélisation très précoce, grâce à l’interprétation d’un gigantesque bas-relief daté des années 66–70 après JC. Là, parmi une centaine de personnages, deux sont d’une taille exceptionnelle et clairement étrangers à la culture locale. Depuis une quinzaine d’années, les scientifiques constatent qu’il s’agit très vraisemblablement de l’apôtre Thomas et de son acolyte, invités par l’empereur Mingdi (28–75 après J.C.), des Han orientaux, suite à son rêve d’un personnage surnaturel et lumineux, comme c’est relaté dans les annales littéraires de l’époque. Cela bouleverse toute la représentation que l’on a de l’évangélisation de cette région du monde !

Ajoutons enfin la contribution de Pierre Perrier (Académie des Sciences, Paris) sur le plus célèbre poème de la littérature syriaque : « L’Hymne de la perle ». Il s’agit d’un petit récit, inséré dans Les Actes de Thomas, y compris dans leur version grecque, qui « présente un vocabulaire typique de l’araméen du 1er siècle, à la différence du reste du texte », selon le travail du chercheur. Considéré jusqu’à présent comme un conte oriental, « une histoire de fils de roi qui devait reprendre la plus merveilleuse des perles à un dragon, il comporte au moins 400 allusions bibliques (AT et NT), c’est donc vraiment un texte chrétien ! » Il y a décelé des correspondances avec la 1ère Lettre de Pierre : « Pierre cite Thomas et Thomas mentionne le contenu de la réponse de Pierre », cela ne s’invente pas. Il explique qu’il s’agit bien d’un épisode difficile de la mission orientale de Thomas, et des encouragements qu’il reçoit en retour, alors qu’il est loin de Jérusalem…

Bien d’autres éléments ont été portés à la connaissance des congressistes. Lorsque les Actes de ce Colloque seront publiés, nous pourrons revenir en détails sur ce qui semble un renouvellement complet de notre vision de la propagation de l’Évangile selon la demande du Christ.

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Du même auteur : « Importante découverte sur le début de l’évangélisation en Chine » (2009) ;

Voir aussi : eecho.fr/?s=arameen
et : eecho.fr/?s=Thomas
et l’encart « Thomas Chine & Inde » sur eecho.fr/eecho.html.

 

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4 thoughts on “Origine des évangiles : synthèse en 4 pages

  • 11 janvier 2024 at 9 h 02 min
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    C’est un article très intéressant qui enrichit notre connaissance sur les Évangiles.

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  • 13 janvier 2024 at 14 h 51 min
    Permalink

    Un très grand merci pour cette synthèse bien écrite ! On espère que l’auteur produira d’autres études de la même qualité, notamment sur la question du rapport entre Évangile et lectionnaire. En effet, les premier chrétiens ont forcément eu des lieux de culte et un calendrier liturgique. La proclamation synagogale du Saint Évangile selon la formule du Père Guigain est la clé pour comprendre cette structuration qui ne s’est pas faite au hasard mais résulte du calendrier des lectures synagogales que commentait le Seigneur. Ses apôtres en ont tenu compte quand il a fallu mettre en rapport les lectures du jour avec les dits et faits de Jésus. Cela mérite le même genre de synthèse.

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  • 23 février 2024 at 22 h 37 min
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    Bonjour, Pourquoi toujours représenter Thomas uniquement comme celui qui a douté ? J’ai une lecture quelque peu différente. L’annonce de la résurrection de Jésus est une nouvelle littéralement in-croyable. Le mot résurrection lui-même n’existait pas ! Personne ne pouvait avoir la moindre « représentation mentale » de ce que ressuscité voulait dire. Ce que Thomas a compris, c’est que Jésus ne pouvait être revenu à la vie « comme avant », comme ci rien ne s’était passé, et donc que Jésus « revenu à la vie » devait avoir conservé tous les stigmates de la passion. Un Jésus « comme avant » n’étant pas possible, il devait « vérifier » les plaies pour croire à l’incroyable, la vie nouvelle à laquelle, derrière le Christ, nous sommes tous appelés.

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    • 24 février 2024 at 8 h 24 min
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      Effectivement. Le début de l’article le dit bien : l’Orient voit Thomas comme « celui qui a touché » .

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