La mémoire en damiers : parution d’une synthèse

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Pierre Perrier, Bernard Scherrer, Francisco José Lopez-Saez, La mémoire en damiers. Structures de composition des textes de sagesse sémitique : de Gilgamesh aux évangiles, d’Abraham aux pères de l’Orient chrétien,
Préface de Mgr Yousif Thomas Mirkis o.p., Archevêque chaldéen de Kirkouk et Souleymanieh (Iraq), éd. BoD / L’évangile au cœur, 2023, 29 €

Ce livre de plus de 700 pages est à la fois la somme et la synthèse des recherches faites par Pierre Perrier et autour de lui en matière exégétique, et elles sont mises dans une lumière quelque peu nouvelle, celle des structures « en damiers ». « Les évangiles ont nécessairement été composés en araméen par des maîtres en cet art des damiers hébréo-mésopotamiens » écrit Mgr Youssif Thomas Mirkis dans la préface. De quoi s’agit-il ?

Comme le livre l’explique fort bien dès le début, la mémoire orale peut s’exercer de manière plus efficiente que dans des récitatifs basés sur de simples structurations des perles en colliers ou même en pendentifs, lesquels permettent déjà une mise en relation entre des perles situées à la même place dans deux pendentifs parallèles. Au demeurant, ces récitatifs assez simples peuvent être matérialisés sous forme de colliers que l’on porte sur soi et qui aident à réciter ‒ toutes les cultures traditionnelles orales connaissent cela. La structure orale la plus complexe mise en lumière jusqu’alors par Pierre Perrier était le filet, dont les perles peuvent se réciter en fils horizontaux ou verticaux, et où d’autres associations de récitations peuvent encore être envisageables et révéler du sens. Il s’agit déjà d’une sorte de « damier ».

En fait, la forme « damier » est beaucoup plus répandue qu’on le pensait. On pourrait la présenter comme une structure multiple autour d’une perle centrale, chaque axe (horizontal, vertical et souvent diagonal) issu de ce centre ayant sa thématique propre. Ainsi, le positionnement d’une perle dans le filet n’est plus seulement affaire de coordonnées comme dans un tableur, mais surtout une question de sens.
P. 64 : « Dans un collier linéaire de plus de 10 perles, on ne peut que se perdre, alors que dans un collier à pendentifs par exemple, la mémoire trouve ses repères en passant mentalement par le collier tronc. Dans un damier, la logique des liens transverses permet à la mémoire de faire un parcours mémoire directement d’un pendentif à l’autre »

Les structures dites « en damier » ne suivent pas une forme unique même s’ils se présentent généralement comme des carrés 3×3, 5×5 ou 7×7.

On retrouve dans ce livre les acquis des recherches et publications antérieures ; par exemple, l’évangile selon saint Jean est présenté tel qu’on le voit dans Les colliers évangéliques (p. 483), avec de minuscules différences d’un ou deux versets rattachés à telle perle plutôt qu’à sa voisine, cf. p. 265 et surtout p.271 où chaque perle est présentée subdivisée en trois parties, le tout étant revu sous l’aspect de la mémoire en damier.

De même, le damier constituant ce qui est appelé L’hymne de la perle – mais qui devrait être appelé plutôt le Madrashâ de la rivière de perles – au cœur des Actes de Thomas est déjà présenté dans  Pierre Perrier, Retour à la Source : Le Madrasha de Marganitha de l’apôtre Thomas 41 – 51, éd. Jubilé, janvier 2022 (voir ici), comme on le voit p.259 reproduite ici. Mais dans les pages 231 à 238 de La mémoire en damiers, il est étudié avec beaucoup plus de détails, les jeux de la mémoire étant multiples et riches de sens. Le dernier paragraphe donne la clef : « Ainsi l’année d’enseignement de Thomas à Pattala est devenue année perdue, mais la lettre reçue par lui a été l’occasion d’une véritable résurrection spirituelle. La multitude des échos entre ce Madrasha et la 1ère lettre de Pierre nous laisse penser que le récit des difficultés de Thomas, avec ses mots-clefs, a été utilisé par Pierre, pour produire ce qui fut sa première encyclique » .

La présentation du Symbole des Apôtres (p. 77-79) reprend des études antérieures qui ont été présentées déjà (et exposées ici en rapport avec Irénée de Lyon).

Mais l’ouvrage comporte de nombreuses nouveautés complètes, en plus de ce qui concerne la 1ère lettre de Pierre mentionnée ci-dessus (p.173-178), par exemple :

Nouveau aussi et capitale est la présentation des évangiles synoptiques en damiers et leur comparaison (p. 445 à 610), une étude très documentée.

On notera également la présentation en damiers du Magnificat, d’Isaïe 66, de l’épitre aux Romains, du carré SATOR, de deux prières d’Isaac de Ninive, de l’épopée de Gilgamesh, des Odes de Salomon, etc. avec une mention particulière pour les prophéties de Daniel (p. 159-167) qui mériteraient un livre à elles seules.

Notons encore la substantielle annexe 2 qui reprend ce que Bernard Scherrer avait montré par vidéo-conférence lors de la session d’été d’EEChO 2022 : « La cohérence des témoignages de la Résurrection » (p.641-693). Les explications sont remarquables et mettent parfaitement en lumière la complétude et la chronologie des évangiles.

Pour finir, rappelons que les mécanismes fantastiques de la mémoire humaine, qui intéressent tant les neurosciences, n’apparaissent qu’en étant pratiqués (et ils le sont si peu dans le monde des smartphones) ; et en pratiquant, on comprend pourquoi les structures en damiers constituent un sommet :
« Le passage d’une longue série de textes sans structure ou à structure purement linéaire, au collier à pendentifs puis au damier, pourrait se comparer mutatis mutandis, au saut technologique de la bande informatique, où il faut parcourir la bande depuis le début pour retrouver une information, à la pile de disquettes, puis au disque dur, où tout est accessible directement » (p. 63).

Sur https://www.levangileaucoeur.com/damiers, on pourra télécharger les principaux « damiers » exposés dans le livre.

Edouard-Marie Gallez

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4 thoughts on “La mémoire en damiers : parution d’une synthèse

  • 9 mai 2023 at 13 h 34 min
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    Bonjour ! Merci pour cette annonce.
    Ce livre remplace-t-il le livre annoncé par Pierre Perrier , « Marie mère de l’Eglise », dans lequel il devait expliciter comment était composé la généalogie de Luc, qui serait en fait un ordrage particulier du « Petit Reste » qui a permis d’accueillir le Christ ?

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    • 9 mai 2023 at 20 h 15 min
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      Non, il prépare effectivement un autre livre.

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    • 11 mai 2023 at 8 h 10 min
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      Bonjour
      Dans « La mémoire en damiers » vous avez l’explication détaillée du quatrain de Marie (généalogie de Luc).

      Mais effectivement nous avons d’autres publications sur le feu pour justifier solidement d’autres points clés de Marie Mère de Mémoire

      La prochaine permettra d’étayer l’affirmation de l’Eglise de l’Orient sur le fait qu’elle a reçu ses évangiles directement des apôtres, et qu’elle les a soigneusement conservés au iod et à l’accent près.

      Cordialement
      Bernard Scherrer

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      • 19 mai 2023 at 13 h 38 min
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        Excellente nouvelle. La découverte du véritable sens de la généalogie de Luc est une des plus grandes de tous les temps : cela fait deux mille ans que les exégètes et théologiens n’arrivent pas à expliciter clairement cette généalogie qui aurait mérité un article scientifique ou une thèse universitaire ou même un livre à elle-seule. Ne serait-ce que pour faire connaître cette découverte car pour le moment elle n’est pas assez connue.

        Quant à la prochaine publication qui « permettra d’étayer l’affirmation de l’Église de l’Orient sur le fait qu’elle a reçu ses évangiles directement des apôtres, et qu’elle les a soigneusement conservés au iod et à l’accent près », il pourrait être utile de répondre par des arguments scientifiques à la thèse de Francis Lapierre qui affirme que dans les doublets qu’on trouve dans les Évangiles, il y des versets araméens suivis d’une glose de versets grecs, avec un vocabulaire et une syntaxe différentes (avec des mots clairement sémitiques puis surgissement de vocables grecs même en araméen…). C’est peut-être une évidence que cette thèse est fausse pour ceux qui connaissent à fond le sujet mais cela ira mieux en le disant et en la réfutant scientifiquement. La thèse de M. Lapierre est certes préférable à celle de ceux qui prétendent que les textes évangéliques sont sortis tout en grec de communautés non juives tardives, mais elle présente un caractère intermédiaire qui la rend peut-être plus délicate à réfuter. En tout cas, cela pourrait être utile et intéressant d’y répondre.

        Quoi qu’il en soit, nous attendons toutes ces publications avec impatience et leur souhaitons le plus grand succès dans et hors de l’Église.

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