Quelles conditions pour un vrai dialogue ?

En marge de « Fratelli Tutti « 

Les conditions d’un vrai dialogue

Edouard-Marie Gallez – Texte PDF

__ Dans une conférence récente, l’archevêque chaldéen de Mossoul, Mgr Mikael Najeeb, a rappelé  que, pour qu’il y ait « dialogue », il faut être assis à la même table : il n’y a pas de dialogue possible lorsque l’une des parties en présence menace l’autre. Quel dialogue peut-on concevoir entre le persécuté et le persécuteur, entre les victimes et les criminels ? Il pensait en particulier à ce que les chrétiens ont subi de la part de l’Etat islamique-Daech en Irak en 2014 comme aussi aux Yézidis et à certains musulmans.

__ En même temps, Mgr Najeeb témoignait ce jour-là de l’immense espoir donné par le témoignage de ces chrétiens persécutés. Pas un seul n’a renié sa foi lorsque les islamistes ont donné le choix à la population chrétienne entre devenir musulman ou quitter la ville dans les 24 heures, sans rien, le peu qu’elle emportait étant pillé à la sortie de la ville. Il a cité le témoignage d’une fillette dont le père avait été assassiné par les islamistes : elle priait pour eux car, disait-elle, Jésus avait pardonné à ses ennemis. Il s’en fallut de peu que la colonne des réfugiés soit attaquée et massacrée peu avant son entrée au Kurdistan. Il peut l’attester puisqu’il y était lui-même.

__ Quand Mgr Najeeb devenu Archevêque put remettre les pieds à Mossoul, les jeunes de familles musulmanes restées sur place se proposèrent pour nettoyer et réparer l’unique église qui n’avait pas été abattue (elle avait servi de lieu d’exécution des condamnés à mort par Daech). Ils lui ont alors dit combien ils regrettaient d’avoir fait confiance à l’État Islamique et combien ils souhaitaient le retour des chrétiens dans leur ville en ruine. L’Archevêque a ajouté qu’à l’avenir, le rôle de l’école serait capital pour que les enfants musulmans ne soient plus élevés dans une haine de l’autre s’appuyant sur une lecture au pied de la lettre (hélas pas incorrecte) du Coran. Et par-dessus tout, il a redit que le témoignage des chrétiens permettait de rebâtir l’avenir.

__ Les passionnés de « dialogues » se sentiront insatisfaits. Si en effet réussir à se mettre autour d’une table est la première condition de ce dialogue, il y en a une seconde, tout aussi nécessaire : avoir autre chose à se dire que « Prenez-vous des loukoums avec le café ? » et sur un terrain commun. Mais lequel ?

__ Les « dialogues islamo-chrétiens » imaginés depuis plus de cinquante ans par des Occidentaux disciples du très controversé Louis Massignon ont prêté et prêtent toujours à la partie musulmane une sorte de culture ou de spiritualité chrétienne remplie de beaux sentiments : paix, progrès, tolérance etc. Mais y a-t-il dialogue quand on ne fait qu’imaginer ce que pense l’autre en projetant sur lui des idéaux frelatés ? On ne peut s’étonner alors si l’autre en question en profite pour fourguer une image trompeuse de son Islam, proche des conceptions des chrétiens, quitte à tronquer des citations du Coran.

__ C’est ce qu’on trouve, une fois de plus, dans Fratelli Tutti, une interminable encyclique qui se réfère à la personne de l’islamiste à la tête de l’Université Al-Azhar du Caire et au document d’Abou Dhabi, en particulier au n° 285 :
« Lors de cette rencontre fraternelle, dont je garde un heureux souvenir, le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb et moi-même avons déclaré […]  Au nom de l’âme humaine innocente que Dieu a interdit de tuer, affirmant que quiconque tue une personne est comme s’il avait tué toute l’humanité et que quiconque en sauve une est comme s’il avait sauvé l’humanité entière. » 

__ Il s’agit en réalité d’une citation tronquée du Coran, toujours la même ; le texte réel du verset 32 de la sourate 5 indique : « quiconque tue une personne ‒ A MOINS QU’ELLE AIT COMMIS UN MEURTRE OU UNE CORRUPTION (fasād) SUR LA TERRE ‒ etc. » La citation complète révèle ainsi une signification inverse de celle que lui attribue Fratelli Tutti : à savoir que le meurtre est licite à tout musulman pour éliminer la corruption de la terre.

__ Il serait trop long de citer les nombreux passages de la sourate 9 prônant la violence, mais retenons au moins, parmi les autres sourates, ce verset où figure le verbe aimer : « Dieu aime ceux qui iront jusqu’à tuer (qātala, combattre à mort) pour Sa cause » (61,4). Le texte coranique ne permet donc aucunement d’affirmer que « le terrorisme […] est dû à l’accumulation d’interprétations erronées des textes religieux » (n° 283).

__ Quand Mgr Najeeb parle du danger d’une « lecture au pied de la lettre », il sait de quoi il parle. Pour autant, la question n’est pas de plaquer sur les versets coraniques une lecture naïve qui se voudrait au sens figuré : cette lecture est impossible. La question est de comprendre dans quel but le Coran dit ce qu’il dit, et quel est ce but que poursuivent les islamistes. Telle est la seconde condition du dialogue, sans laquelle il n’existe pas de terrain commun réel où l’on peut se comprendre et se parler.

__ En d’autres termes, il s’agit de regarder sérieusement le système de pensée de l’autre, en priorité sous l’aspect des buts qu’il se donne, personnellement ou communautairement, puisque les actes humains poursuivent toujours une certaine finalité, quoi que prétende la philosophie post-moderne. Selon une source privée, à Kairouan en Tunisie ‒ pays pourtant assez « laïque ‒, près de la moitié des jeunes hommes (et quelques filles) sont partis faire le jihad en Syrie ; aucun d’entre eux n’en est revenu : soit ils y sont morts ; soit ils sont employés (et payés) sur d’autres théâtres de guerre terroriste ; soit encore ils sont « réfugiés » en Europe, percevant des allocations diverses et attentant d’y continuer le jihad. N’est-il pas suicidaire pour l’Eglise d’Europe de ne pas leur apporter l’évangile, qui ouvre l’unique porte de sortie de l’islamisme (comme de tous les messianismes) ?

__ Cette porte de sortie, nécessairement liée à la finalité du messianisme islamique, concerne le royaume de Dieu que l’Islam rêve d’imposer sur la terre. Ce royaume est également une question cruciale pour les chrétiens puisqu’il fait l’objet de la deuxième demande du Notre Père. Mais la théologie chrétienne occidentale a évacué cette question liée au sens révélé de l’histoire, et l’a souvent remplacée par des espérances idéologiques, celles des puissants du moment ‒ hier le socialisme, aujourd’hui le mondialisme supposé faire le bonheur de l’humanité et qui pour le moment fait surtout le jeu des milliardaires et de leur système financier. Or, comment « dialoguer » si l’on ignore la Révélation transmise par les apôtres à propos du sens de l’histoire ‒ ou qu’on l’a reniée ?

__ La manière dont les musulmans ont reçu le discours de Macron sur les séparatismes a été très négative, ils l’ont ont reçu au premier degré. Pourtant, ce discours annonçait toujours plus de cours d’arabe pour les jeunes : il tend ainsi à renforcer le séparatisme islamique, contrairement à ce que disent les imams excités. Et il servait de prétexte à interdire l’enseignement à la maison, le homeschooling, pratiqué par quelques familles chrétiennes comme à étendre l’emprise de l’éducation nationale sur les enfants dès le plus jeune âge, 3 ans ! Sommes-nous aveugles sur ces manipulations qui d’une part excitent les islamistes et d’autre part favorisent leur emprise sur les communautés musulmanes ‒ comme si le but était de susciter des attentats, ce qui peut-être servirait le pouvoir en place ?

__ Oui, il y a matière à « dialoguer », y compris et surtout avec les islamistes ‒ à condition qu’ils trouvent en face d’eux des chrétiens capables de témoigner de leur foi et de leur tradition religieuse, et solidement informés des dérives messianistes de la Révélation de Notre Seigneur (lequel a averti qu’il y aurait après lui des faux prophètes et des faux messies). Et non des pseudo-chrétiens adeptes de la nouvelle contrefaçon du christianisme : le mondialisme « fraternel », fait d’esclaves sans identité et d’un pouvoir centralisé entre quelques mains, faisant terriblement penser à la figure de l’Anti-christ ‒ ou la préparant.

__ Cette figure à venir, les musulmans la connaissent, et en ont tous entendu parler, quoique dans des traditions confuses et souvent contradictoires. Mais les chrétiens savent-ils encore ce que la Révélation en dit vraiment et quoi ? Entre l’admirable témoignage des chrétiens martyrisés et les bavardages biaisés ou factices des services des relations avec les musulmans, y-a-t-il place pour un dialogue véritable ? En tous les cas, ce dialogue est urgent.

Pour fonder des dialogues sur le respect de la réalité et des autres dans ce qu’ils pensent : https://www.eecho.fr/loutil-indispensable-du-dialogue-islamo-chretien/ .

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3 thoughts on “Quelles conditions pour un vrai dialogue ?

  • 15 octobre 2020 at 22 h 40 min
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    Précise et terrible connaissance de la réelle situation internationale et française
    J aimerais avoir l’auteur au tel
    [note du webmaster : il vaut mieux éviter d’indiquer un n° de téléphone, on fait suivre en tout cas]

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  • 24 octobre 2020 at 20 h 03 min
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    Très bonne analyse :lucide mais dans laquelle transparaît la sincérité de voir évoluer une situation complexe et meurtrière.

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  • 26 novembre 2020 at 18 h 44 min
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    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt cet article comme les livres de Edouard-Marie Gallez que je retrouve cité d’ailleurs dans un livre récent : « la Laïcité, mère porteuse de L’Islam » du Père Michel Viot et Odon Lafontaine
    Cordialement

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