Dossier « Egypte »: vers quels changements ?

• 1LE MIRAGE DE LA DÉMOCRATIE ?

_____Voici d’abord l’opinion d’Irakiens chrétiens répercutée par Asianews à la suite de l’assassinat, le 15 janvier dernier à Mossoul, du Docteur Nuyia Youssif Nuya dans sa clinique – il avait été le médecin personnel de Mgr Faraj Raho, l’archevêque catholique chaldéen de Mossoul, atrocement torturé et assassiné en 2008 :

« L’Occident, qui a renié ses racines chrétiennes, ne peut rien faire pour les chrétiens parce qu’il est devenu indifférent face à toutes les religions. Et une autre chose que l’Occident ne comprend pas est que dans les pays musulmans, démocratie est synonyme de chaos. »

_____La « démocratie », qui existe déjà peu chez nous, se heurte à des obstacles majeurs en pays arabo-musulman. Il faut rappeler clairement pourquoi : de fait comme de droit, le système de participation démocratique est un héritage des villes du Moyen-Age et de la culture chrétienne ; pour exister, il présuppose un sens de l’égalité fondamentale entre les gens, ainsi qu’un certain sens du service mutuel (et du « service public »). Or, ces conceptions sont justement absentes de la tradition islamique et même complètement combattues pour ce qui est de l’égalité fondamentale entre les citoyens (pour plus de précisions, voir cette analyse).

_____On a fait un grand cas du manifeste paru le 24 janvier dans la revue égyptienne Al-Yawm Al-Sabi (le septième jour) et supposé émaner de 23 personnalités musulmanes. « Un trait de lumière dans l’Égypte révoltée » a titré le journaliste italien Sandro Pertini. L’enthousiasme s’est répandu dans les médias chrétiens mais on apprenait après coup que certains des signataires contestaient leur participation à une rencontre quelconque, affirmant que les journalistes s’étaient limités à des contacts téléphoniques concernant l’un ou l’autre point, sans avoir été mis au courant de l’ensemble du document. Dans le contexte d’effervescence de l’Egypte, les 22 points de ce Document pour le renouvellement du discours religieux libéraient certes la parole et le faisaient savoir – ce qui est exceptionnel en Egypte. Le point 8 appelle à « séparer la religion et l’état », et les points 20 et 21 invitent à « reconnaître le droit des chrétiens à accéder à des fonctions importantes et [même] à la présidence de la république » et à « séparer le discours religieux et le pouvoir et rétablir son lien avec les besoins de la société ». Le commentaire du point 8 mentionne même le mot « almaniyyah », laïcité, un mot proscrit car généralement compris comme signifiant athéisme. Néanmoins, la faiblesse du document est de reprendre une conception occidentale laïque qui considère la « religion » comme affaire purement privée et qui veut placer l’Islam au-dessus de toute critique. Les auteurs vont jusqu’à affirmer que la laïcité de l’Etat est la doctrine de l’Islam depuis 1 400 ans. Une telle contre-vérité idéologique reflète peut-être le rêve de vider l’Islam de sa substance néfaste, mais l’escargot ne s’extrait pas de sa coquille sans être cuit. Comme l’écrit Marie-Gabrielle Leblanc, « Pour les chrétiens d’Égypte,… la pauvreté du pays vient de 14 siècles d’islam qui ont ruiné sa brillante civilisation, pas seulement du régime autoritaire actuel. »

_____Or, après la Tunisie, l’Egypte est vue par les médias comme un exemple « d’évolution vers la démocratie ». À sa manière, même la Chine participe à cet engouement, en bloquant toutes les requêtes des moteur de recherche informatiques qui comprendraient les mots « Egypte » ou « Moubarak » – sans doute de peur que les Chinois aient eux aussi envie de protester. Qu’en est-il en réalité ?

2• LES FAITS

_____Tous les Egyptiens – jeunes, Coptes, islamistes, simples musulmans – veulent la fin du régime Moubarak et le changement. La question est : vers quoi ? Les « réseaux sociaux » du web ont joué un rôle déclencheur dans la contestation du régime Moubarak, en particulier place Tahrir au Caire, que les médias occidentaux suivent facilement. Le Père Henri Boulad, directeur du Centre Culturel Jésuite d’Alexandrie, commente ainsi la « révolution du 25 janvier » (extraits) :

« …Qui est derrière ce soulèvement ?... Non pas le tout petit peuple qui a toujours vécu dans la peur et la soumission, mais une certaine catégorie très précise : les jeunes – et plus précisément les 25-35 ans -, diplômés d’hier, et pourtant chômeurs, frustrés, sans emploi, sans logement, sans perspective d'avenir. Ces jeunes, au-delà d’un enseignement scolaire abrutissant, de slogans religieux vides et creux, de contraintes sociales et morales aliénantes, cherchent leur chemin et un sens à leur vie à travers Internet, Youtube, Facebook et Twitter…
   Ces jeunes aux yeux et aux oreilles grandes ouvertes, absorbent, consomment, assimilent à longueur de journée et de nuit tout ce que le monde d’aujourd'hui leur propose sur le Net… le meilleur et le pire. Ces jeunes, dont certains ont fréquenté des écoles étrangères ou l’université américaine, rêvent d'ouverture et de modernité… Ce sont ces jeunes – ouverts, émancipés, capables de réflexion et de critique – qui ont concocté, organisé et mis au monde cette révolution.
   Mais, une fois mise au monde, celle-ci n’a pas tardé à être arnaquée par les Frères Musulmans qui ont cherché à la récupérer, à en faire leur affaire, à la voler aux jeunes qui l’avaient créée et inventée…
   Le peuple lui-même, pris de court par la soudaine disparition des forces de sécurité et la surprenante libération des prisonniers [voir ci-après], a tout d'abord paniqué face aux hordes de bandits qui ont déferlé sur la ville. Mais les gens se sont très vite repris et organisés pour résister et faire face. Des comités de défense civile sont nés spontanément un peu partout, prenant position au pied des immeubles, au coin des rues, un peu partout, pour se défendre, protéger leurs familles et leurs biens, organiser la circulation et le ramassage des ordures.
   Cette prise en main du peuple par lui-même a été vraiment remarquable et tout se passe en ce moment dans une sérénité, une courtoisie et une efficacité surprenantes… Pour l'instant, Dieu merci, aucun incident confessionnel ne s'est produit, bien que les églises et couvents ne soient plus protégés par la police. »

L’analyse du Dr Adel Ghali, médecin des chiffonniers du Caire, collaborateur pendant 20 ans de Sœur Emmanuelle et diacre copte-orthodoxe, complète le tableau :

« Ce sont les Frères musulmans et les imams qui ont lancé ce mouvement de protestation, tout est parti des mosquées même si pour l’instant les islamistes se tiennent dans l’ombre et attendent leur heure. Les manifestants et la police ont ouvert simultanément les prisons dans tout le pays, ce qui fait que 30 000 criminels, et 34 chefs islamistes ultra-dangereux, sont dans la nature. L’assassin des chrétiens à Nag Hammadi, il y a un an, qui venait d’être condamné à mort, en fait partie. Ils ont pillé puis incendié un grand nombre d’habitations dans le quartier de Choubra au Caire. Les manifestants ont aussi attaqué en même temps 90% des postes de police du pays et volé les armes : ce mouvement n’est pas pacifique… Moubarak… a renvoyé le ministre de l’Intérieur qui était abominable car il a permis ou ordonné, ces dernières années, le massacre et la torture de centaines de chrétiens par les islamistes. Mon sentiment est que le Président a compris que l’attentat anti-chrétien à Alexandrie, le 1er janvier, est retombé sur sa tête » (propos recueillis par Marie-Gabrielle Leblanc).

Un autre point de vue encore, celui d’un missionnaire combonien :

« Les personnes favorables à Mubarak sont nombreuses. Selon moi, elles représentent environ 40% de la population. Il s’agit en particulier de personnes appartenant à la haute et à la moyenne bourgeoisie. Je rappelle que la division entre riches et pauvres en Egypte est très profonde et tout aussi évidente. J’espère que tout cela ne se finira pas dans un bain de sang en particulier parce que ce qui est arrivé au cours de ces derniers jours a représenté un exemple de noblesse, de gentillesse et de courage de la part de ce peuple » (propos recueillis par Marie-Gabrielle Leblanc).

3• FACE AUX PROBLÈMES

_____Les Coptes craignent que, en cas de chute du régime de Moubarak, leur vie ne devienne encore plus difficile qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Comment a-t-on pu en arriver là se demande le Professeur Ashraf Sadek, de Limoges ? « À cause de 60 ans de régime militaire et policier, depuis le coup d’État de Nasser en 1952. Dès qu’il est arrivé au pouvoir, Nasser a éloigné ou éliminé toute opposition et constitué un parti unique. Son régime, puis celui de Sadate, ont promu l’éducation islamique et divisé les Égyptiens en deux communautés pour favoriser les musulmans. Les écoles islamiques se sont développées, l’université El Azhar, auparavant simple école théologique musulmane, a essaimé à travers tout le pays et pour toutes les matières d’enseignement : ce sont des foyers de radicaux. Les enfants apprennent dès le berceau que l’Égypte a commencé avec l’Histoire arabo-musulmane. La prestigieuse civilisation de l’Égypte ancienne, et les six siècles de la période copte, sont occultés et largement ignorés par la population. Ce sont des policiers qui ont encouragé les récents actes de vandalisme dans le musée du Caire.
Les chrétiens [13 millions soit 17% de la population, Ndlr] sont discriminés et persécutés depuis 60 ans, empêchés de construire des églises et d’accéder aux postes-clés, pratiquement évincés du parlement. Les journaux nationaux leur sont fermés sauf très rarement pour des articles anodins. Le pouvoir se sert de l’islam. Les prédicateurs des mosquées, souvent extrêmement violents dans leurs prêches, sont payés par le gouvernement, et la police est profondément contaminée par l’islamisme extrême. Il est prouvé qu’elle est complice des pogroms meurtriers contre les chrétiens, en recrudescence depuis dix ans. Les assassins des chrétiens ne sont jamais punis, et au contraire on accuse faussement les chrétiens.
Les musulmans ouverts qui défendent les chrétiens sont très peu nombreux car il est très dangereux d’exprimer cette position considérée comme une trahison de l’islam, certains ont été liquidés physiquement.
Quant à la pauvreté, elle est bien sûr du fait d’une mauvaise gestion, mais avant tout de l’éducation arabo-musulmane : le problème est profond, très complexe et très ancien » (propos recueillis par Marie-Gabrielle Leblanc).

_____La réalité égyptienne, c’est non pas 86 millions d’habitants selon de vagues estimations officielles, mais plutôt 95 millions, et l’étroite bande fertile du Nil ne peut pas faire vivre tous ces gens. Cette situation n’est pas étrangère à l’islamisation de la société depuis quarante ans, les familles musulmanes pauvres étant poussées à avoir de nombreux enfants même si elles ne peuvent pas les nourrir. L’organisation des Frères musulmans finance alors, au profit des familles qu’elle contrôle, l’émigration légale et illégale de jeunes vers l’Europe et les USA – et cela avec de l’argent saoudien.

_____Des miracles existent, par exemple quand le texte de Solidarité Copte (en anglais) est parvenu au Président Obama, le convainquant qu’il serait très néfaste que Moubarak parte tout de suite. Les cinq propositions de ce texte arrivent au moment opportun, dans un grand vide de projet institutionnel. En résumé, elles invitent :
_____1°– à dissoudre le Parlement par référendum
_____2°– à la nomination d’un Président provisoire
_____3°– à la constitution d’un gouvernement de transition rassemblant les personnalités du pays, y compris ceux du mouvement des jeunes
_____4°– à la préparation d’une nouvelle Constitution
_____5°– à des élections en octobre 2011.

_____Par-dessus tout, ce dont l’Egypte a besoin, c’est de la prière de tous les chrétiens.


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