Refus a priori des racines ex-judéochrétiennes de l’islam et croyances aberrantes

En 2005 paraissait la synthèse Le messie et son prophète (1100 pages, 1649 notes), en deux tomes. Le second, Du Muḥammad des Califes au Muḥammad de l’Histoire, exposait comment s’est fabriqué le récit islamique faisant foi (au sens propre) concernant les origines de l’Islam et du Coran. Il sortait définitivement l’islamologie des mythes construits par les pouvoirs musulmans successifs pour occulter leurs véritables origines.

Des a priori islamophiles

Mais l’ancrage de l’islam historique dans un courant ex-judéochrétien, démontré par cette synthèse, gêne les islamologues surtout qui sont liés à des instances islamiques ou à une histoire islamophile (tel est bien le cas d’Angelica Neuwirth, de Berlin).
Prenons un exemple simple, relatif aux « deux Marie » du texte coranique, l’une qui est la sœur d’Aaron et l’autre la mère de Jésus, le Coran identifiant curieusement l’une à l’autre par trois fois ; pourquoi le fait-il tant d’insistance (donc pas par erreur) ?
L’introduction au Tome I du messie et son prophète démontre que cette identification est une « typologie » c’est-à-dire une manière de dire que la mère de Jésus est une nouvelle Miryam biblique, et cela dans une certaine tradition qui est clairement d’origine judéo-chrétienne. Cependant, autant pour Neuwirth que pour les musulmans, l’existence d’une telle tradition éclairant le texte coranique est impensable a priori, puisqu’ils veulent que l’Islam soit né de la prédication d’un certain Mahomet et ne s’enracine réellement dans rien d’antérieur (sinon Allah) : il faut donc absolument expliquer l’identification d’une manière autre que typologique, en inventant un lignage ancestral aussi bizarre qu’aberrant entre les « deux Marie » (ou alors faire vivre la première durant 1250 ans).

Guillaume Dye, co-directeur du Coran des historiens (Paris, Cerf, 2019), sait très bien, lui, que le sens est typologique, mais il en est resté à son article de 2012 [1], et Mette Bjerregaard Mortensen s’y réfère (Le Coran des…, tome II p. 749) sans retourner aux sources véritables (notamment à cet article du web). En fait, l’article de Dye en 2012 se référait à une publication de 2004 qui était provisoire, non à l’introduction au Messie et son prophète (2005) qui la reprenait et la complétait : ainsi, il mettait encore en doute le fait que la typologie coranique identifiant « Mariam dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament » soit réellement d’origine chrétienne. Pourtant Dye lui-même a trouvé un texte chrétien qui l’indique, et la tradition iconographique l’indique aussi (ce qui n’a été connu qu’après 2012). Mais le fait est là : ni l’un ni l’autre n’ont regardé le début du tome I de la synthèse de 2005, qui est plus complet que l’article de 2004 et qui apportait une réponse décisive à Neuwirth. Cette vaste question est traitée dans un article paru sur Academia.

Des a priori portant sur le christianisme lui-même

Cependant, il y a pire que les a priori islamophiles.
Dans sa contribution Les courants « judéo-chrétiens » et chrétiens orientaux de l’Antiquité tardive (dans Le Coran des historiens, tome I), Jan van Reeth raisonne au départ d’a priori portant sur le christianisme :  l’Eglise serait fondamentalement grecque (avant ou autrement, il n’aurait exité qu’une pléiade de sectes), « les premiers chrétiens en terre judaïque… [sont une] frêle faction de la nation juive » (p. 430), et une Eglise parlant la langue des apôtres n’apparaît que « à la fin du 2e siècle, début 3e » (p. 438). Certes, il a raison de ne pas opposer, comme certains le font, l’apôtre Jacques de Jérusalem à Pierre, à Paul ou à Jean, mais ce n’est en aucun cas ce Jacques dont la doctrine serait à mettre en rapport avec celle qu’indique une exégèse sérieuse du Coran (p. 431-432) : la doctrine judéo-nazaréenne est opposée à celle Jacques ‒ même si elle a été élaborée majoritairement par des ex-disciples (il n’a pas dû lire sérieusement Le messie et… qu’il critique).

En fait, van Reeth défend le modèle islamo-correct de Nöldeke, c’est-à-dire un discours islamo-compatible. Il est l’un des derniers à croire à la légende des Esséniens résidant à Qumrân, et rédigeant les manuscrits trouvés dans les grottes (voir à ce sujet eecho.fr/mythe-des-esseniens-et-messianisme, ou  lemessieetsonprophete.com/annexes/invention-des-‘moines-esseniens’.html, ou encore eecho.fr/12e-grotte-de-la-mer-morte-mss-grecs-et-objets). Il croit encore aussi en l’ancienneté (pré-islamique) de La Mecque. Pour lui la « théologie chrétienne (sic) contenue dans le Coran » est « plutôt confuse et trop souvent, hélas, quasiment indéfinissable » (p. 460). Certes, en fonction de ses a priori, elle est effectivement telle ; il en va autrement avec une exégèse systématique du texte, qui révèle alors une doctrine bien précise, post-(et anti-)chrétienne, en correspondance avec des sources connues, faussement attribuées aux légendaires « Esséniens » précisément.

Il n’y a pas de science sur la base de présupposés islamophiles, antichrétiens ou plus généralement politiquement et/ou religieusement corrects. Hélas, même si l’on ne partage pas ces présupposés, le danger existe encore de s’y conformer – pour ne pas déplaire et risquer de perdre une place chèrement gagnée. On en est là aujourd’hui…

___________
[1] Guillaume Dye (Lieux saints communs, partagés ou confisqués : aux sources de quelques péricopes coraniques (Q 19 : 16-33), in Isabelle Depret & Guillaume Dye (éds), Partage du sacré : transferts, dévotions mixtes, rivalités interconfessionnelles, Bruxelles-Fernelmont, pp. 55-121.

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3 thoughts on “Refus a priori des racines ex-judéochrétiennes de l’islam et croyances aberrantes

  • 18 mars 2021 at 4 h 52 min
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    Merci beaucoup ! Il faut multiplier les livres, articles en ligne, vidéos pour répondre en détail aux erreurs et préjugés islamophiles et anti-scientifiques.

    Il y aurait des chaînes culturelles et savantes en France (sur YouTube ou à la télévision), une émission de discussion avec des chercheurs, par exemple le Père Edouard-Marie Gallez et Guillaume Dye, serait organisée pour approfondir et débattre de ces questions. Bénis soient ceux qui organiseraient de telles discussions en direct (même si le débat scientifique se fait essentiellement à l’écrit, la puissance de l’oral ne doit pas être mise de côté).

    Espérons que beaucoup de chercheurs sans œillère vont s’emparer de ce sujet des origines de l’islam et faire progresser la vérité. La recherche sur le Coran est le principal vecteur de découvertes car à force d’études scientifiques sur la construction du texte faisant émerger les textes araméens et réalités araméennes sous-jacents, beaucoup de vérités pourront se faire jour.

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  • 19 mars 2021 at 6 h 11 min
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    C’est l’occasion de rappeler l’excellent ouvrage de 190 pages d’ODON LAFONTAINE, Le grand secret de l’islam que tout le monde devrait avoir sous la main. On peut également le consulter sur le web !

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  • 8 octobre 2021 at 16 h 58 min
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    Extrait d’une page d’internet relevé sur mes tablettes mais dont je n’ai pas retenu la référence:
    « Les médecins et les physiologistes qui ont refusé collectivement pendant plus de 100 ans la théorie d’Harvey sur la circulation sanguine présentaient-ils tous un déficit intellectuel majeur pendant toute cette période?. … non, évidemment pas. Seulement, un changement de paradigme nécessite le plus souvent de surmonter des obstacles épistémologiques qui désignent « des représentations induites en particulier par les expériences premières que nous avons associé à un concept » (Bachelard). Cette notion d’obstacle permet de comprendre les raisons de l’exemple de la circulation sanguine. Face à un changement de paradigme, les partisans d’un ancien paradigme ne sont pas sensibles aux caractéristiques d’un nouveau ni aux démonstrations qui réfutent l’ancien.« 

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