Qu’est-ce qu’un texte ‘canonique’ ?

Pourquoi un texte est-il dit canonique ?

Pourquoi parle-t-on de « canonique » et de « canoniser » ?

Le mot « canon » (du grec kanôn κανων, roseau) est à l’origine d’un gros malentendu, relativement à ce qu’on a appelé le « canon des Écritures » du Nouveau Testament, au sens de règle ou de norme. A cause de ce mot, beaucoup ont imaginé que l’Église (Rome) aurait tardivement défini une « règle » sélectionnant arbitrairement des textes « chrétiens » parmi un ensemble à sa disposition pour en faire ses textes sacrés « canoniques » : les 4 Évangiles, les épitres et l’Apocalypse, excluant alors tous les autres textes en les déclarant « apocryphes » . Et certains de contester cette sélection présumée en expliquant que le vrai Jésus ne serait pas « celui de l’Église » mais celui de « l’Évangile de Thomas » ou bien de « l’Évangile de Marie [-Madeleine] » que l’Église n’aurait pas voulu retenir dans ses textes « canoniques » .

En réalité, le mot « canon » est à prendre dans son sens originel, et, de surcroît, selon l’araméen « qanyā » ܩܢܝܐ .

Mais avant tout, un constat est à faire : on dispose d’un nombre énorme de manuscrits donnant la totalité ou des extraits du Nouveau Testament, et dont les plus anciens remontent au début du 2e siècle : ce nombre est inouï par rapport aux rares copies d’autres textes de l’Antiquité (voir eecho.fr/les-manuscrits-du-nouveau-testament-et-les-autres et info-bible.org/histoire/manuscrits.htm). On est donc devant les témoins d’une explosion de copies, qui ne peuvent être le fait que d’une multitude de groupes, voire d’initiatives individuelles. Et, par comparaison, les copies de (tardifs) textes « apocryphes » tels que ceux cités plus haut sont extrêmement rares.
On se trouve donc devant un consensus qu’une Église si peu centralisée à l’époque n’aurait pas pu imposer depuis Rome ou n’importe où ailleurs. Il semble que ce soit par les échanges continuels entre les diverses communautés, que la structure du Nouveau Testament se soit constituée, et cela très tôt.
Et le critère de reconnaissance et d’acceptation des différents textes de ce Nouveau Testament était le lien avec les apôtres : c’est ici qu’intervient la question du « canon » au sens premier du mot (roseau), et non pas au sens dérivé et postérieur d’une règle qui aurait été imposée par une autorité centrale qui n’existait pas.

En araméen, un récitatif oral est dit être « roseau » selon une analogie très concrète comme cette langue en aime : selon l’oralité araméenne en effet, les récits sont structurés comme une suite de péricopes s’accrochant les unes aux autres et poursuivant un axe commun. Ils forment donc des chaînes insécables ou « colliers » de la même manière qu’un roseau est structuré avec des nœuds successifs pour former une tige, et ils sont faciles à mémoriser un peu comme les comptines d’enfants (par exemple « 3 petits chats / chapeau de paille / paillasson / somnambule, etc. » ). Cet aspect « canonique » ou « qanyā » est une des garanties assurant qu’il s’agit d’une transmission orale et que son apostolicité est solide.

Ceci n’empêche pas des mises par écrit très tôt, à titre d’aide-mémoire chez les araméophones (comme pour la Torah), et de manière beaucoup plus nécessaire et massive par les gréco-latins qui n’étaient plus de civilisation orale mais écrite : dans leur langues maternelles, ils n’étaient déjà pas bons en mémorisation, ils auraient eu bien du mal à apprendre les récitatifs par cœur en araméen. Ainsi, les premières traductions en grec et en latin ont été dites « selon le canon-roseau » araméen, quoique, évidemment, elles ne pouvaient pas rendre sa structure en « roseau » dans une autre langue.

Le sens de « canon » a désigné également la « composition originelle » de référence, celle de la communauté chrétienne araméenne de Jérusalem. Inversement, on a appelé « non canoniques » les textes dits apocryphes dont aucun ne présente cette structure en « canon » typique de l’oralité araméenne. Ces textes tardifs peuvent contenir marginalement certains éléments historiques, mais ils ne proviennent pas des récits composés par les « témoins de la Résurrection » c’est-à-dire les apôtres ou en tout cas les 500 (+ les femmes – 1Co 15,6 ; Mt 28,10.16), ceux qui ont vu Jésus ressuscité après l’avoir connu avant sa passion ; Paul ne fait pas partie de ces 500 mais eut une vision du Christ sur le chemin de Damas, et ses lettres, de plus en plus lues par les chrétiens, ont fini par être ajoutées aux autres textes de référence (cf. 2P 3,15-16).

Cette oralité s’est maintenue surtout chez les chrétiens de langue araméenne, c’est-à-dire principalement parmi les Assyro-chaldéens. Le P. Fr. Guigain a fait remarquer que l’oralité des Actes des Apôtres est de moins bonne qualité que celle des évangiles, mais il est vrai que les récitatifs répartis dans les quatre évangiles sont d’abord des témoignages transmis, alors que les Actes sont composés d’abord comme relation historique.

Notons au passage que le mot « roseau » se lit ici dans l’Évangile : « Qu’êtes-vous allés contempler au désert ? Un roseau agité par le vent ? » (Lc 7,24). Vent et Esprit se disant avec le même mot « rūḥā » (ܪܘܚܐ) en araméen, cette parole de Jésus prend alors un sens plus profond que l’analogie concrète à laquelle il renvoie de prime abord : Jésus confirme aux foules, après avoir ordonné aux envoyés de Jean le Baptiste de lui annoncer que « les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle » (Luc 7,22) en accomplissement des prophéties d’Isaïe (Is 19,18 ; 29,18), qu’il s’agit bel et bien de cet accomplissement. Le ‘roseau agité par le vent‘, c’est Jean le Baptiste désignant le Messie, c’est à dire un « canon » proclamé sous la motion de l’Esprit Saint, la réalisation de la prophétie de la venue d’un « nouvel Elie » comme précurseur du Messie (voir aussi l’enseignement du P. Frédéric Guigain sur les « Origines et signification du baptême de Jean le Baptiste‘).

Donc, lorsque l’Église instaura une liste des textes dits « canoniques » , elle ne fit que s’appuyer sur sa propre tradition en disant ce qui avait toujours été. En particulier, tous les chrétiens araméophones savaient alors quels étaient leurs textes « canons » , et pourquoi les autres ne l’étaient pas.

Enfin, il est intéressant de voir comment le dictionnaire Jennings et le dictionnaire Payne Smith définissent le mot de « qanyā » :

   

En Occident, le sens du mot « canon » a dérivé jusqu’à donner celui de « lois de l’Église » , aboutissant au « droit canonique » fondé sur ces lois rassemblées dans le « droit canon » de 1917 puis celui de 1983. Là, on est vraiment très loin du sens originel, et c’est ainsi que naissent les malentendus.

Bref, la compréhension des origines du christianisme implique de se plonger dans l’oralité araméenne.

Voir aussi eecho.fr/video-loralite-evangelique/ (P. Fr. Guigain)
eecho.fr/exegese-oralite-arameenne-et-apparitions-du-christ-ressuscite/
eecho.fr/les-evangiles-de-loral-a-lecrit-entretien-avec-pierre-perrier/
https://odysee.com/@EEChO:7/la-transmission-des-vangiles-7-le-style:4 (Jean-François Froger)

Partager cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.