Foi chrétienne et spiritualisme(s) : 2de2

Foi chrétienne et spiritualismes (« Gnose »)

Texte PDF.

_ Autant le messianisme est facile à comprendre, en tout cas au premier abord, autant le spiritualisme est difficile à cerner. Nous entendons le mot non au sens de « spiritualité » (qu’il n’a d’ailleurs pas) mais, comme le terme en « isme » le suggère lui-même, au sens de déviations spirituelles érigées en système, car il s’agit de bien plus que de simples déviations. Notons qu’en philosophie, le terme est employé pour qualifier et classer certaines formes de pensée, mais cela est sans intérêt ici : nous parlons de réalités concrètes et historiques.

_ Car il faut parler de spiritualismes au pluriel (comme pour les messianismes), car les formes sont très diverses mais sur un fond commun qui ne se laisse pas aisément discerner. Les Pères grecs de l’Église ont employé le mot de « gnose », mot qui signifie simplement « connaissance » en grec, et autour duquel eux-mêmes ne s’accordaient pas pleinement tellement il est flou, cette situation perdurant continuant aujourd’hui dans des discussions entre intellectuels. Éliminons le problème en employant le terme de « spiritualisme » qui rend compte tout aussi bien de systèmes « spirituels » où la connaissance est importante, que d’autres où la dévotion prédomine ; on comprendra plus loin pourquoi cette distinction n’a que peu d’importance.

_ Autant le messianisme est une perversion du vécu chrétien par rapport à l’extérieur (ainsi que de l’espérance chrétienne qui est basculée dans le temps actuel à la place du temps après la Venue glorieuse), autant le spiritualisme est une perversion du vécu chrétien intérieur. Ici aussi, il faut remonter à la source pour comprendre ; ce vécu ne relève pas de nos sens extérieurs mais concerne la vie de notre « âme » comme on dit, dans son l’expérience chrétienne.

_ Croire, c’est adhérer avec notre intelligence (intelligence rationnelle et du cœur) à ce qui nous est révélé venant de Dieu  ̶  concrètement par l’intermédiaire de chrétiens, dirait saint Paul, en même temps que par l’Esprit Saint qui nous relie au Christ. La foi crée alors en nous quelque chose qui surélève notre esprit, car ce n’est pas par nos propres forces que nous pourrions croire : c’est « trop », comme disent les enfants, cela nous dépasse trop.

_ L’anthropologie du Nouveau Testament et spécialement paulinienne parle de l’être humain comme corps, âme et esprit, pour le dire à la grosse louche, car les termes ont des nuances différentes d’une langue à l’autre, et toute la Bible est à regarder autour de ces trois termes neshama, nefesh et raia. Disons qu’il existe deux grandes unités anthropologiques à saisir : la psychosomatique et la psycho-spirituelle. En bref, l’esprit est fait pour aller jusqu’à toucher Dieu (qrb en araméen), mais il n’est pas séparé du psychisme. Et le psychisme a un retentissement sur le corps sensible. Une représentation schématique n’est pas possible, ou alors peut-être deux :

ou

_ L’acte de foi nous fait adhérer notre esprit à une Vérité qui nous dépasse, il y a une collaboration avec l’Esprit de Dieu : « c’est l’Esprit Saint qui fait de vous des enfants de Dieu et qui nous permet de crier à Dieu : « Abba, Père ! » L’Esprit de Dieu atteste lui-même à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu » Rm 8,15-16. Les actes de foi accompagnent la conversion et conduisent normalement au baptême. Lors de celui-ci, des énergies divines sont infusées à la racine de l’âme ou jonction du corps et de l’esprit (et appelées « grâce ») ; elles peuvent nous faire vivre des expériences plus qu’humaines (les « dons du Saint Esprit » en particulier, étant entendu que chacun vit l’un plutôt que l’autre selon sa nature, son histoire etc.). La source de ces « charismes » n’est pas en nous, même s’ils se manifestent en nous. Une forme de pudeur est nécessaire.

_ En effet, la pudeur s’impose au niveau de chacune de ces deux « unités » signalées plus haut : la pudeur liée au corps prévient la tentation d’utiliser celui-ci sensuellement et de l’exposer à la possession d’autrui ; et la pudeur liée à l’esprit prévient le danger d’exalter notre expérience avec Dieu et d’exposer celle-ci à ceux qui voudraient s’en emparer et la détourner. C’est ici que commencent les spiritualismes, selon les Actes des apôtres (8,9-24) et selon saint Irénée qui décrit la suite.

_ On ne reproduit pas à souhait (ou en laboratoire) les actions ou les états induits en nous par l’Esprit Saint : nous ne pouvons pas mettre la main dessus. La foi nous fait adhérer à une Révélation qui est extérieure à nous et qui nous dépasse, tandis que le spiritualisme prétend nous révéler une sorte de vérité intérieure, la connaissance d’un « dieu » qui serait caché en nous qui devrait être libéré, émerger, et même entrer en fusion avec les parcelles de divin qu’il y aurait chez les autres – en tous cas chez ceux qui se voient éveillés et « libérés ».

_ Dans tous les spiritualismes (gnoses, gnosticismes, sectes à gourous ou mouvements culturels aujourd’hui largement médiatisés), la « libération » est centrale et tournée contre la Révélation : il s’agit de « se libérer » du mauvais Dieu qui a créé la matière, qui a enfermé le vrai divin dans nos corps, et qui veut qu’on dépende de Lui. On voit l’inversion spirituelle perverse de cette pensée : le Dieu qui veut qu’on vive dans une dépendance d’amour avec Lui est présenté comme mauvais, et Celui qui prétend libérer l’humanité de ce Dieu est présenté comme bon, le « porteur de lumière » (Lucifer en latin).

_ Le corps n’étant qu’une enveloppe (dans un monde qui n’existe pas vraiment), aucune morale n’a de sens pour un spiritualiste : il se voit au-dessus de toute morale, la seule qui compte étant celle de son accomplissement personnel accédant au vrai monde, spirituel (au besoin en s’aidant de substances psychotropes). Par ailleurs, l’idée de « l’androgyne » primitif (l’humain à la fois homme et femme) est toujours présente dans les spiritualismes, quelle que soit leur forme : le fait d’être homme ou femme ne peut qu’être une illusion. Cette idée est véhiculée aujourd’hui de manière particulièrement violente par le wokisme, c’est-à-dire par théorie du genre qu’il a inventée et prétend imposer. Les « woke » ou « éveillés » qui en sont les promoteurs rêvent d’un monde spirituel libéré (du judéo-christianisme) et unifié (sous leur coupe, puisqu’ils sont l’élite possédant la connaissance).

_ Si la vie chrétienne ouvre à des collaborations avec les anges de Dieu et surtout à un lien avec la Vie divine trinitaire, il ne s’agit pas d’une « connaissance » au sens d’un pouvoir acquis ou d’une harmonie universelle atteinte. Mais les confusions sont subtilement nombreuses aujourd’hui, elles commencent par exemple dès qu’on tronque 1Jn 4,7 qui dit que « l’amour vient de Dieu », en faisant croire que cela signifie que l’amour est « Dieu ». De même, les liens avec l’au-delà existent, mais ils passent par la collaboration d’anges de Dieu : les ex-anges qui sont des démons peuvent contrefaire cette collaboration et trompent facilement les gens qui ne sont pas dans la lumière. Tôt ou tard, toutes ces confusions aboutissent à des contacts de plus en plus étroits avec ces entités spirituelles qui nous font croire qu’elles nous servent alors qu’elles nous asservissent. Et un jour, elles présentent l’addition, et elle est salée…

_ Se connaître soi-même n’est jamais un but en soi. Au demeurant, quand on creuse en nous-mêmes, ce qu’on y trouve n’est pas toujours très joli. Si on y trouve  ̶  ou plutôt si on croit y trouver  ̶  une sorte de révélation intérieure, il s’agit de quelque chose qui ne vient ni de nous ni de Dieu, mais d’ailleurs. Quant à la manière dont on veut nous faire découvrir ces présumées vérités intérieures, elle implique toujours d’amoindrir le fonctionnement des lobes frontaux de notre cerveau (sièges de la rationalité et de l’empathie), selon de nombreux experts en neurosciences qui nous mettent également en garde contre l’exposition prolongée à certains types d’ondes (électromagnétiques ou sonores) qui perturbent ces lobes.

_ Qu’ils soient recherchés ou subis, les spiritualismes sont des obstacles à l’adhésion à la Révélation qui, fondamentalement, est Jésus lui-même – ou même ils détournent de Lui ceux qui L’ont rencontré déjà : c’est ainsi qu’ils ont commencé.

P. Édouard-Marie

Cette image est tirée d’un certain site spiritualiste qui veut mettre en contact avec des « esprits » (présumés guérir) ; elle exprime magnifiquement l’égocentrisme et la volonté de puissance connectée qui sont en jeu :

Partager cet article

2 thoughts on “Foi chrétienne et spiritualisme(s) : 2de2

  • 3 avril 2024 at 17 h 15 min
    Permalink

    Il y a une difficulté à souligner.
    La quête intérieure immémoriale, particulièrement forte dans les formes anciennes de l’hindouisme, a l’âme pour objet, au sens de principe spirituel de l’être humain. Mais chercher à faire l’expérience de sa propre âme est une entreprise qui a quelque chose de vain : on ne peut pas vivre et regarder sa propre vie.
    Dans notre monde matérialiste, les médecins et thérapeutes divers qui ont acquis par expérience une certaine connaissance de l’âme humaine peuvent être tentés par le spiritualisme, par réaction.
    Le problème alors, c’est qu’ils prennent l’âme humaine pour « Dieu » ou une parcelle de « Dieu ». Cette âme qu’ils perçoivent immortelle n’est pas pour autant éternelle : elle a été créée.
    Ce n’est pas facile d’expliquer à un spiritualiste que immortalité et éternité, ce n’est pas la même chose !

    Reply
  • 22 avril 2024 at 6 h 39 min
    Permalink

    Il semble que l’intention joue un grand rôle dans l’orientation juste ou déviante de la vie intérieure. Deux démarches spirituelles peuvent sembler identiques, quoique l’une soit juste et l’autre délétère.
    Ce serait par exemple comme un service rendu à autrui : on peut le faire par souci de l’autre ou pour gagner sa confiance en vue de l’arnaquer par la suite.
    Dans le monde spirituel, l’intention est certainement inséparable de la pureté du coeur, ce qui est loin d’être simple et transparent…

    Reply

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.