Le messianisme dans l’Eglise – en réponse au « documentaire » d’Arte

Dérives ecclésiastiques et messianisme

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__ L’émission outrancière d’Arte le 5 mars dernier a choqué beaucoup de chrétiens et d’autres, et c’était son but, la veille du début du Carême : suggérer l’idée que les prêtres, non contents d’être des pédophiles (c’est un dogme médiatique), sont des abuseurs de bonnes Sœurs. Dans un monde où, rien qu’en Angleterre, des milliers d’enfants sont livrés chaque année aux réseaux pédophiles dans le plus grand silence des médias, ce pseudo-documentaire apparaît comme un détournement honteux de l’indignation ­– il est ce qu’on appelle une inversion accusatoire. Nous ne soulignerons pas ici ses procédés de propagande, d’autres l’ont fait. De toute façon, il faut s’habituer à l’idée que les grands médias (TV ou presse), qui sont très coûteux, n’existent que par les millions que les financiers ou les Etats y investissent ; de ce fait, ils sont globalement des outils de propagande, et, bien souvent, celle-ci est orientée fortement contre l’Eglise. Les Américains l’ont compris il y a quelques années déjà[1], les Européens pas suffisamment encore.

L’une des sinistres illustrations inventées par le réalisateur Eric Quintin

__ Un des mensonges de ce « documentaire », dans sa première partie, est d’omettre la cause réelle des dérives (hélas avérées pour l’essentiel) relevées chez les deux Pères Philippe, et de s’en servir alors pour attaquer globalement le sacerdoce. Cette cause, EEChO n’a pas cessé de la dénoncer – et de manière générale car il s’agit précisément d’une tentation que l’on retrouve à chaque génération et qui s’est même cristallisée en de vastes mouvements destructeurs anti-chrétiens : la tentation « messianiste ». Nous ne voulons pas diminuer ici ce que ces deux Pères ont pu faire ou susciter de bon : nous voulons dire que la tentation messianiste est subtile et vicieuse. Et jamais sans conséquences.
__ Elle consiste à se croire appelé(s) à jouer un rôle de salut dans l’histoire humaine. Cela se dit de manières très diverses. Il est connu (et ceci a été enregistré maintes fois) que, à l’image de ceux qui dirigeaient le peuple hébreu avant David, le P. M.-D. Philippe se voyait en nouveau Patriarche ; d’une certaine façon, il reprenait une doctrine plus ou moins à la mode au XIXe siècle, consistant à imaginer que le supérieur serait un « intermédiaire entre Dieu et les hommes » (cela a été dit aussi). Dans ce cas de figure, évidemment, les tendances présentes dans le « supérieur », bonnes ou mauvaises, risquent d’être placées au dessus de tout jugement – au moins aux yeux d’un petit cercle. Or, comme on dit, il ne faut pas tenter le diable …

__ Le même drame se produit inévitablement, et à une échelle souvent bien plus vaste et dramatique, avec tous ceux qui prétendent être les interprétateurs de l’Histoire et en diriger le cours : par le fait même, leurs actes ne peuvent être que moralement bons (à leurs yeux ou aux yeux de leurs sectateurs), même les plus odieux et pervers. On connaît ces systèmes messianistes qui laissent derrière eux des victimes par millions. Avec des atrocités innommables, dont beaucoup continuent d’être passées aujourd’hui sous silence, par la volonté de ceux qui mènent ce monde. C’est également le problème de fond de l’islam depuis quatorze siècles, problème que les responsables ecclésiastiques s’entêtent à ne pas voir en Occident (pourquoi ne veulent-ils pas le voir ?)[2].

__ Personne ne peut servir d’intermédiaire entre Dieu et les hommes, que ce soit individuellement ou communautairement. Certes, les chrétiens sont appelés à être des intercesseurs et même, de temps à autre, des médiateurs, mais il s’agit de tout autre chose. La Vierge Marie est le modèle de la médiatrice, mais seul Jésus est intermédiaire : tout passe par Lui, il est la Porte vers le Père, et il n’y a pas d’autre Porte. Cette conviction de foi – qui est aussi d’expérience – a été mise à mal à diverses époques, et en tout cas dans les années récentes par la notion très ambiguë de « peuple de Dieu ». Les chrétiens formeraient-ils moins une famille qu’un peuple, auquel cas ils auraient besoin de nouveaux Patriarches /Moïse, c’est-à-dire de chefs « éclairés », pour être guidés sur les chemins de l’histoire vers des lendemains qui chantent ?

__ C’est un tel jeu que certains prélats ont prétendu jouer, s’attribuant un rôle historique et utilisant l’Eglise pour faire advenir ce qu’ils croyaient être un « monde nouveau » (selon les désirs illusoires de leur idéologie plus ou moins généreuse). Et, dans ces mêmes années 55-70, beaucoup trop sont entrés dans le clergé ou dans les ordres religieux avec des motifs qui n’étaient pas sain(t)s, fussent-ils sur fond humanitaire, et il n’était pas rare que certains travers aient été tolérés voire encouragés par des « formateurs » idéologiquement très marqués. Et encore après 1970.

__ Tout cela, nous le payons aujourd’hui, mais il faudra encore du temps pour le reconnaître simplement. En attendant, des responsables ecclésiaux adoptent un comportement compassionnel larmoyant, ils demandent pardon aux victimes – qui n’en ont rien à faire : c’est de la part des coupables et de leurs complices qu’elles attendent une telle demande. Et ne risquent-ils pas ainsi de noyer les responsabilités et de suggérer une culpabilité collective… à la grande joie des accusateurs de l’Eglise ? Le piège était gros mais c’est à croire que certains n’attendaient que de tomber dedans…

__ Ce qui convenait dans l’Ancien Testament (les Patriarches, Moïse, etc.) ne convient plus comme tel dans le Nouveau. L’Esprit Saint a été donné à la Pentecôte, et Lui est désormais le seul conducteur légitime de l’Eglise dont le but sur terre n’a pas à être inventé : il est bien défini déjà, préparer la Venue glorieuse du Christ et le Jugement qui est lié à ce moment-là.

__ Quand on oublie ou qu’on minimise cette espérance (et « finalité ») de l’Eglise terrestre, des dérives ne tardent pas à apparaître ; ceux qui détiennent une autorité, justifiée par la poursuite communautaire de ce but, peuvent être alors tentés de la détourner et de la pervertir. Mais ceci n’est pas vraiment nouveau depuis deux mille ans. La différence, c’est que, jusqu’à une certaine époque en Occident, les chrétiens n’avaient pas oublié la Venue glorieuse, ce qui est très majoritairement le cas aujourd’hui.

__ Peut-on sortir de la crise sans se ressourcer auprès du christianisme des origines ?

P. Edouard-Marie

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[1] Même de prestigieux journalistes du système disent qu’ils en ont assez de mentir, comme Lara Logan aux USA, ou Udo Ulfkotte, un Allemand qui a été « suicidé » la veille de son voyage aux USA pour l’investiture du président Trump.

[2] Aux rationalistes qui ne voient pas et à pas mal d’autres, on peut conseiller de lire https://www.amazon.fr/Canevas-méthode-déradicalisation-croyance-elle-même/dp/1719040877.

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9 thoughts on “Le messianisme dans l’Eglise – en réponse au « documentaire » d’Arte

  • 13 mars 2019 at 22 h 57 min
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    Merci pour cet excellent article qui explique rationnellement les choses.
    Sur ce sujet délicat dont se délectent les médias à charge, vous faites ressortir des causes précises, identifiées et définies, très éloignées des concepts vagues et diffus répandus qui n’expliquent rien et diluent la responsabilité des coupables, décrédibilisent ainsi l’ensemble du corps ecclésial et jettent l’opprobre sur tous les chrétiens.

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  • 13 mars 2019 at 23 h 14 min
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    Cet article est surprenant et quelque peu consternant…
    Certes il y avait de l’outrance dans le commentaire. Il n’empêche que cette émission fait ressortir au grand jour des turpitudes que notre institution ecclésiale a générées et cachées. Ces crimes sont le fruit de ce que notre Pape François dit des méfaits du cléricalisme. Celui-ci est entretenu par une image du prêtre qui ne fait pas place au charisme des baptisés. De ce fait nous sommes invités à une conversion assez radicale. Il y a des années de travail et de prière devant nous ! Nous subirons toujours des attaques. Satan est à l’oeuvre. Mais au lieu de regarder Satan, demandons la grâce de la sainteté. C’est l’unique « réponse » possible me semble-t-il.

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  • 13 mars 2019 at 23 h 37 min
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    En sommes, ce que vous appelez la dérive messianiste n’est-ce pas une autre façon de comprendre ce que le pape François appelle le cléricalisme ?
    Par ailleurs, en ce qui concerne votre opinion sur les dérives des deux Pères Philippe … »la cause réelle des dérives (hélas avérées pour l’essentiel) relevées chez les deux Pères Philippe », je vous recommande de prendre connaissance du blog de leur nièce Marie Philippe qui démonte ces accusations :
    https://marie-dominique-philippe.com/?fbclid=IwAR0_QFORxfODslVbnyKrcp19EzTJlVXHLgnEBjdWfZWmAgDjj6nr7hzM5u0
    A leur lecture, j’ai acquis un sérieux doute sur le bien-fondé de ces accusations. J’avais déjà nourri cette opinion en 2015, après la lecture de son droit de réponse qui a été publié dans le courrier des lecteurs de La Croix en 2015 (accessible dans ce Blog), après un article de ce journal publiant les déclarations accusatrices à l’égard des pères Philippe.
    N’oublions pas que Tim Guénard (ancien loubard marié avec quatre enfants et engagé dans la reconstruction de loubards) explique dans son livre qui expose sa vie qu’il ne serait pas devenu ce qu’il est maintenant s’il n’avait rencontré le père Thomas Philippe ?

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    • 14 mars 2019 at 7 h 57 min
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      Des questions se posent sans doute et ne seront jamais bien claires. Qu’est-ce que le Pape François veut dire par « cléricalisme » quand il se fait l’accusateur de ses frères ? Sa pensée est confuse et semble dépourvue de toute autocritique. À Rome, son autoritarisme est craint et il s’est entouré de personnages contestables, au point de vue moral et sexuel. Dans le « documentaire », on le montre à un moment donné, recevant deux auteurs de rapports précédemment interviewés : ceci suppose une entente préalable entre le réalisateur et l’entourage de François. Bizarre.
      Il ne faut jamais oublier tout ce que les Philippe ont fait de bien. J’ai lu le blog de leur nièce, et si je n’avais pas entendu des bruits (dont un témoignage indirect) il y a plusieurs années déjà, j’aurais du mal à croire ce qui est raconté. Cela ne veut pas dire non plus que tout ce qui est raconté soit intégralement vrai. Mais il ne nous appartient pas de faire la part des choses.
      Dans l’ancien droit canon, les sanctions étaient très sévères contre tout acte déviant de la part d’un prêtre, car il s’agit de quelqu’un qui a été mis à part pour le service spécial du Seigneur (voir les vidéos de Jean-François Froger). Les blessures faites à l’âme des victimes ont toujours été tenues pour très graves, plus graves que si les mêmes actes étaient produits par des laïcs. Et il y avait des tribunaux ecclésiastiques qui fonctionnaient bien – aujourd’hui, il n’y en a presque plus par manque de personnel, ce qui met certains évêques dans des situations difficiles.
      L’Eglise est une communauté de pécheurs sauvés, pas d’hommes parfaits. C’est l’Esprit Saint qui fait l’Eglise, comme l’article le suggère. Elle doit faire un effort constant de pureté pour répondre à ce que Dieu attend, et la justice corrompue de ce monde, qui a monté un procès bidon contre le cardinal Pell en Australie, n’a assurément rien à lui apprendre.

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  • 13 mars 2019 at 23 h 44 min
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    En 1975, paraissait le portrait d’ES 1025, de Maria Winowska : Elle a rassemblé en un seul personnage, le cas de 3 élèves séminaristes. Eléments intelligents détectés par un « groupe restreint », ils devaient suivre le cursus de formation pour infiltrer l’Eglise catholique jusqu’aux plus hauts sommets de la hiérarchie. Ceci peut expliquer le coup de balai au Vatican, la « démission », malgré lui, du Pape Benoit XVI, la « mort prématurée » de Jean-Paul 1er, qui ayantla liste des prélats francs-maçons voulait faire le ménage illico, il n’a pas passé la nuit…
    Les scandales actuels n’auraient pas eu lieu si le « Message de la Salette », et le « Message de Jésus à ses fils de prédilection les prêtres », le 3è secret de Fatima qui pour certains évoquerait la perte de la foi jusqu’à Rome même, le Message de la T.S. VIerge à Don Gobbi avaient été pris au sérieux pour laver son « linge sale en famille ».
    Cela rappelle une prophétie ; que le 1/3 des étoiles serait balayé dans le ciel par le dragon, sachant que « la plus grande ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas » comme le soulignait Baudelaire.
    Il semble que le « pas vu, pas pris » et les complicités ou lâchetés diverses aient été au rendez-vous.
    A l’occasion, à chaque fois que c’est évoqué, je rectifie (forum de discussions, pour que ça fasse son chemin) le terme :
    – il n’y a pas de « prêtre pédophile », car le sacerdoce ne peut pas engendrer ce qui est contraire à son essence, le dérèglement des moeurs.
    – Il faut rétablir le terme de « pédophiles prêtres », car ces gens-là ont caché leur point faible, de combat (intérieur pour certains), de duplicité bien calculée pour d’autres, à ceux qui étaient chargés de discerner l’authenticité de leur vocation. C’est comme ces divorcés-remariés qui réclament d’accéder à la Sainte Communion et veulent continuer une vie d’adultère, avec pour excuse et motivation « mais puisque je le veux… »
    Les forums de discussion sont un vaste champ d’évangélisation et de correction des erreurs en tous genres.

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  • 14 mars 2019 at 7 h 09 min
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    Très juste. C’est cela le cléricalisme! Tout est dans la Bible, et, particulièrement dans l’Evangile…

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  • 14 mars 2019 at 10 h 45 min
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    Pour répondre au reportage d’Arte, Marie Philippe, nièce des pères Thomas et Marie-Dominique, mène une contre-enquête, factuelle et rationnelle, étant donné qu’à cette heure, ces religieux n’ont été condamnés par aucun tribunal. Cette contre-enquête est accessible sur son blog : http://marie-dominique-philippe.com
    Dans toute cette affaire, c’est la défaite de la raison qui creuse le lit des totalitarismes, selon Hanna Arendt …

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    • 15 mars 2019 at 8 h 34 min
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      Il ne peut pas y avoir de tribunal, puisqu’ils sont morts.
      Et, malheureusement, il y a trop de témoignages convergents.
      Par ailleurs, le cardinal Danneels vient de mourir ; il était l’exemple même du prélat imbu de messianisme (et il voulait devenir Pape – c’est Benoît XVI qui a été élu). Il a contribué à ruiner son diocèse (Malines-Bruxelles), en voulant que l’Eglise se conforme au monde. Cet article aide à comprendre.

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