Apparitions du Ressuscité : la cohérence orale


La chronologie orale
des apparitions post-pascales

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P. Frédéric Guigain
texte complet (syriaque-français) :
en PDF(466 Ko)

La chronologie des apparitions post-pascales et en particulier de la « Journée de la Résurrection » a toujours constitué la croix de l’exégèse néo-testamentaire classique fondée sur l’écrit, parce que, de toute évidence, l’ordre interne et comparé des récits évangéliques échappe aux règles ordinaires de la succession narrative.

Découvrir un nouveau principe de séquenciation des témoignages apostoliques, qui ne réponde pas à la linéarité de l’écriture, apporterait une contribution décisive à l’intelligence de la Bonne Nouvelle annoncée par l’Eglise primitive, tant du point de vue de sa composition littéraire que du point de vue de l’authenticité de son message.

Or, un tel principe a déjà fait l’objet de nombreuses études, si bien qu’il est désormais loisible d’affirmer en toute certitude que les Évangiles n’ont jamais été des narrations écrites intelligibles en termes de texte clos auto-suffisant, et n’ont jamais été adressés à un lecteur ou auditeur solitaire recevant à sa disposition le matériel complet nécessaire à sa compréhension. Tout indique, au contraire, que les Évangiles sont des récits ouverts ; non seulement quant au sens (comme tout texte) mais encore quant à la forme, si bien que leur réalité textuelle même renvoie à quelque chose d’autre, de non-écrit, dont dépend nécessairement leur plénitude significative.

C’est dire combien la prise en considération de l’oralité – de laquelle surgit l’écriture même – est incontournable pour l’analyse exégétique (et pas seulement anthropologique) du Nouveau Testament ; elle seule fournit les clefs nécessaires à l’intelligence de la séquenciation des témoignages apostoliques hors des lois de l’écriture. Sans doute, la mise par écrit de la Bonne Nouvelle et la composition de livres canoniques a beaucoup aplati ce qui caractérisait le style oral des récitatifs primitifs, tout ouverts à la globalité de la situation concrète. Toutefois, les incohérences narratives apparentes du texte néo-testamentaire demeurent des vestiges éloquents du fond oral duquel ils ont été puisés, et imposent de s’y référer pour rendre raison de leur particularité.

Qu’il nous suffise ici d’énoncer succinctement un certain nombre de principes de composition orale de récitatifs traditionnels ; ceux-ci se rangent en trois catégories principales :

les principes somatiques, c’est-à-dire les procédés corporels dynamiques de la mémoire : le temps et l’espace, le rythme et l’assonance, la mélodie et le geste, la symétrie et la répétition, la matrice binaire ou ternaire, etc., qui structurent la forme interne du texte et donnent des repères indispensables à son interprétation ;

les principes midrashiques, c’est-à-dire les procédés de composition comparée des textes pour une communauté mémorisante, qui définissent un référent commun à la séquenciation et superposition des multiples témoignages
accrédités, sous forme de variations sur un même thème ;

les principes du décompte mnémotechnique, c’est-à-dire les procédés d’organisation des récitatifs en collier-compteur, qui offre à la récitation le maximum de précision technique.

De tels principes commandent évidemment la composition des récitatifs évangéliques des apparitions post-pascales, et demeurent les fondements inéliminables de la mise par écrit même des lectionnaires apostoliques de la Bonne Nouvelle. En effet, bien que passant à la rédaction d’un écrit de référence et quasi auto-référent, les écrivains sacrés n’ont jamais conçu les Évangiles en dehors de la liturgie de la Parole à vive voix, qui constitue leur fond d’origine et l’unique horizon de leur authentique intelligence. C’est pourquoi, eu égard au contexte originel de la Parole et à la communauté présente qui l’a accréditée, les évangélistes sont restés essentiellement fidèles aux structures définissant l’authenticité d’un témoignage oral.

Ceci a pour première et principale conséquence qu’aux yeux de l’Église primitive, les Évangiles écrits eux-mêmes eurent seulement la valeur de composition midrashique sur le fond commun du témoignage apostolique – excepté que cette composition-là devenait dorénavant normative de la célébration synagogale de la Parole. Aussi, les péricopes évangéliques ne trouvent-elles leur pleine signification qu’une fois rétablie la main-courante récitative dont elles sont en fait les variations respectives. C’est ainsi qu’à l’analyse comparée des récits évangéliques de la Résurrection apparaît clairement que ceux-ci sont modelés sur un collier-compteur primitif quinquénaire (selon le nombre des doigts), qui toutefois ne se présente comme tel dans aucun Evangile puisqu’il en est la main-courante, et qui peut être décrit comme suit :

La découverte du tombeau vide

L’apparition angélique

L’apparition du Ressuscité aux femmes

L’apparition du Ressuscité aux hommes

La mission des Douze reçue du Ressuscité

Ce collier-compteur primitif fut le moule dans lequel chaque témoin oculaire du groupe apostolique a coulé sa propre déposition et l’a mise à l’épreuve de sa vérification communautaire ; si bien que, selon qu’elle venait accréditée par la communauté, elle pouvait être portée comme tradition avec tous les critères oraux de l’authenticité. Tant que la proclamation de la Parole demeura strictement orale, différentes variations midrashiques du Collier de la Résurrection primitif ont circulé parmi la communauté apostolique, où chaque disciple-transmetteur autorisé témoignait en récitant sa déposition accréditée et séquenciée par les Douze en complémentation du collier apostolique de référence. Mais, quand il fallut passer à la rédaction de lectionnaires et aplanir la polyphonie de l’oralité sur la linéarité de l’écriture, les multiples variations midrashiques en sont venues à se superposer, et ainsi à perdre leur référence directe à un fil conducteur unique qui en assurait la cohérence. Toutefois, grâce au respect consciencieux des évangélistes pour la composition orale des récitatifs, il est possible jusqu’à aujourd’hui de les articuler sans difficulté à leur main-courante primitive, et ainsi d’en rétablir heureusement l’harmonie originelle.

Que ce qui suit soit considéré comme un premier essai d’analyse formelle d’oralité du fameux « problème synoptique » à l’occasion des difficultés rencontrées dans les récits des apparitions post-pascales, selon Matthieu (chap. 27 et 28), Marc (chap. 15 et 16), Luc (chap. 23 et 24) et Jean (chap. 19 et 20) <note 1> + Actes (chap.1).

Suite du texte (passages évangéliques – syriaque /français) (466 Ko)

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<note 1> Le texte araméen de la Peshitta est donné selon l’interponctuation présente dans le manuscrit dit Khabouris (avec l’aimable autorisation du R. P. Michael Ryce). La traduction française est de l’auteur de l’article.

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