Syrie : entretien avec R. Khoury

Comme l’un des berceaux du christianisme des origines, la Syrie nous tient particulièrement à cœur, et les misères dans lesquelles les chrétiens sont plongés là-bas ne peuvent que concerner tous les chrétiens. Il en va de la permanence des communautés chrétiennes dans ce beau pays, victime comme son voisin irakien de terrorismes et d’agressions. Ce sont les chrétiens qui portent le monde et font qu’il n’est pas pire encore.

Entretien avec Mme Roueida. Khoury, présidente de l’association Chrétiens de Syrie pour la Paix fondée en 2013 après l’occupation islamiste de Ma’aloula, ce village chrétien au nord-est de Damas où l’ont parle encore la langue du Christ.

Image de l’annonce: Alep, trois jeunes soldats syriens exhibant fièrement un obus non explosé tiré par l’artillerie djihadiste, tandis qu’une religieuse passe un coup de fil sans s’inquiéter.

EEChO : Votre association est créée en 2013, après l’entrée des jihadistes à Ma’aloula, surtout pour informer de la réalité de ce qui se passe en Syrie. Quelle est cette réalité qui échappe aux Français, selon vous ?

R. Khoury : La première réalité très importante à dire concerne la vraie nature des multitudes de groupes terroristes qui combattent en Syrie. Plus de cent groupes se trouvent sur le sol syrien dont les plus importants sont :

  • Jabhet al-Nosra rebatisé Fath al-sham est la base syrienne d’Al-Qaïda
  • Ahrar al-sham (Les Libres d’Al-Sham) est allié à al-Nosra sous la bannière d’un État Islamique.
  • Jaïsh al-islam(L’Armée de l’islam) qui œuvre avec Ahrar al Sham
  • Jaïsh Khaled ben Walid (L’armée Khaled ben al-walid), au Golan, alliée à Daech
  • Jaïch al Moujahidine (L’armée des Combattants ou des porteurs d’armes), le groupe de Nour al dine al Zinki…

Peu importe d’ailleurs le nom qu’il se portent, les syriens les appellent tous des moussalahines c’est à dire les hommes armés. Ils se combattent comme rivaux, mais en réalité ils n’y a pas de vraie différence entre eux !

La guerre en Syrie n’est pas une guerre civile, c’est une guerre internationale sur la terre syrienne. Cette réalité échappe au public international du fait de la partialité des médias. Dans le langage médiatique, on parle de villes « qui tombent dans les mains de l’État syrien » ; pour nous ce sont plutôt des villes libérées par notre gouvernement et notre armée nationale ! Et nous éprouvons de la joie à voir ces villes libérées et leurs habitants syriens pouvoir retourner y vivre à nouveau sereinement et retrouver leur foyer. J’ai vu récemment revenir à peu près 500 familles réfugiées du Liban ! Un grand nombre de personnes réfugiées de l’intérieur reviennent également dans ces villes libérées comme dans Alep, Al Goutha ou Palmyre.

Les bombardements que font subir les djihadistes aux Syriens ne sont presque jamais montrés. Alep Est, par exemple, était occupé par Al-Nusra. Ce ne sont pas des islamistes modérés comme le prétendent les médias, ce sont des djihadistes terroristes. Le fait qu’ils disent qu’ils instaureront la sharia’a en respectant les minorités ne fait aucunement d’eux des modérés, bien au contraire ! Selon la sharia’a, les choix offerts aux non adhérents sont limités : payer la djizîat [impôt à payer pour avoir le droit de vivre], se convertir ou être tué.

EEChO : Comment définissez-vous la position des chrétiens syriens ? Pourquoi les grands médias occidentaux les accusent de soutenir un gouvernement autocratique ?

R.Khoury : Les chrétiens soutiennent et défendent l’État syrien, non pas une personne. La question syrienne a été fortement personnalisée autour de la personne de Bashar el-Assad.

Effectivement, l’image des syriens chrétiens a été très déformée. D’une part on a dit d’eux qu’ils sont avec le gouvernement parce qu’il les protège et d’autre part, on les présente comme des peureux, parce que certains chrétiens ont dit qu’ils ont peur autant du gouvernement que des djihadistes. A aucun moment les chrétiens de la Syrie n’ont été considérés comme citoyens syriens.

Dans notre association, le but est de dire que les chrétiens de la Syrie sont avant tout des Syriens, des citoyens, et non pas une minorité qui cherche la protection de quiconque. Nous sommes des Syriens qui ont tous les droits et les devoirs. Dire que nous sommes une minorité, c’est nous attribuer une nouvelle identité qui n’est pas la nôtre. Nous ne voulons pas que notre lutte soit instrumentalisée par tout le monde.

Notre lutte est de défendre l’unité territoriale de l’État syrien et l’unité du peuple syrien. Il n’est pas question d’un État fédéral composé de petits États confessionnels, selon des plans établis par certains politiciens occidentaux.

Nous voulons que le cadre juridique qui est la constitution syrienne, nous défende en tant que citoyens et non pas en tant que minorité, et qu’elle garantisse à tous les Syriens, sans distinction religieuse ou autre, les mêmes droits et les mêmes devoirs.

La Syrie est l’un des berceaux de l’humanité, un pays d’une grande richesse culturelle et humaine ; toutes les communautés et les ethnies y vivaient ensemble, il faut conserver cette richesse sous l’égide d’un seul État.

EEChO : Comment était, selon vous, la relation entre chrétiens et musulmans en Syrie avant et pendant la guerre ?

R. Khoury: Les chrétiens syriens ont toujours bien vécu en Syrie et n’ont jamais dit qu’ils sont en détresse. Ils vivaient avec toutes les autres confessions et subissaient les mêmes problèmes que les autres. C’est cette guerre qui nous a mis dans cette situation de misère. Nous n’attendons pas qu’il y ait une faveur particulière à notre égard, différente de celle de nos concitoyens musulmans. Il est vrai que les chrétiens ont été les premières cibles des islamistes mais cela relève d’une machinerie islamiste qui dépasse nos frontières de vider le Moyen-Orient de ses chrétiens.

Le Syrien est un citoyen patriote. C’est pour cela qu’il n’y a pas eu de scission au sein de la société syrienne ; même quand la guerre fait rage à Damas, chrétiens et musulmans continuaient à vivre ensemble et à faire front commun.

Ce dont les chrétiens ont besoin actuellement, c’est tout d’abord qu’on arrête de soutenir les bandes islamistes, afin que nous puissions rester chez nous. Mais aussi qu’on supprime dans la constitution toute notion de religion afin que les Syriens forment un bloc national.

EEChO : Comment la guerre est-elle vécue en Syrie, depuis le départ ?

R.Khoury : Depuis le début les Syriens ont compris le caractère confessionnel et sectaire de cette guerre. Ils ont vite compris après les différentes déclarations des chefs d’État arabes ou occidentaux, que cette guerre est une guerre par procuration sur notre territoire.

Les petits groupes qui ont pris les armes dans le but d’imposer des lois islamiques avaient besoin d’une aide extérieure pour pouvoir agir sur plusieurs fronts car la majorité des Syriens notamment les sunnites n’ont pas adhéré à leur camp. C’est ainsi que nous avons vu venir en Syrie tous les extrémistes du monde entier. Hélas, les États les plus puissants au monde allié de l’Arabie Saoudite, Qatar, Turquie, ont aidé à l’arrivée de ces djihadistes en Syrie !

Les combats ont eu lieu dans les quartiers détenus par les djihadistes. Ses quartiers ont été pris par la force, au détriment le plus souvent des civils qui y habitaient. Ces derniers, indépendamment de leur appartenance religieuse, n’avaient qu’un choix : soit ils acceptaient de se soumettre à eux, soit ils devaient partir. Les musulmans aussi étaient victimes de cette situation. Néanmoins, les maisons des chrétiens furent marquées dès le début. Je prends un témoignage d’une habitante d’Arbin, l’une des villes qui vient d’être libérée (mars 2018).  Elle fait partie des villes où les chrétiens ont été chassés de chez eux. Dans cette localité, un des moyens de pressions était de traumatiser les habitants par les cris de Allah Akbar. Le premier acte que les djihadistes avaient commis, dès le début de la guerre, était de marquer les maisons des chrétiens pour qu’ils partent. Ils occupaient ensuite les maisons libérées de leurs habitants.

A Homs, un autre exemple, au début de la guerre il y a eu à peu près 200 000 chrétiens qui furent déplacés du jour au lendemain. Selon le témoignage que nous avons, à l’aube, des djihadistes sont entrés par milliers en hurlant Allah akbar. Plus généralement, dès qu’ils mettaient la main sur un village ou une ville, ils faisaient fuir les habitants par tous les moyens, de toutes confessions, aussi bien chrétiens que musulmans.

À Alep, en juillet 2012, les intrusions violentes de mercenaires islamistes ont fait fuir en masse, selon les témoignages, 500 000 habitants des quartiers Est vers les quartiers Ouest. Les gens étaient traumatisés, car les islamistes filmaient les exécutions, torturaient en pleine rue, traînaient des cadavres.

EEChO : Que pensez-vous de l’action humanitaire en Syrie ?

R. Khoury: Dès le début de la crise il y a des institutions internationales tels que l’ONU, la Croix Rouge, Caritas. Toutes œuvrent en Syrie, notamment avec l’église orthodoxe.

EEChO : Quelle est la nature des aides qu’apportent les Églises ?

R.Khoury : Principalement les églises apportent des aides humanitaires telles que la construction d’écoles et différents types d’aide aux villages qui accueillent des réfugiés. Il y a à peu près 9 millions de déplacés intérieurs qui bénéficient d’une entraide importante. Malgré l’embargo (décrété par les USA dès 2004, et l’Europe s’y est conformée), les Syriens arrivent à partager le peu qu’ils ont. C’est aussi leur façon d’exprimer leur résistance. Les Syriens croient en leur patrie.

L’Église orthodoxe syrienne, comme je le disais, œuvre avec l’ONU ; elle aide aussi bien les musulmans que les chrétiens. La communauté orthodoxe a une diaspora importante en Amérique du Nord et du Sud, dans laquelle chacun reste en contact avec son village.

Je prends l’exemple de Mashta al-Hélou, une ville dans la montagne, à majorité chrétienne d’ailleurs, qui a accueilli des chrétiens et beaucoup de musulmans déplacés. Elle comptait à peu près 4000 habitants et d’un coup ils sont passés à 40 000 habitants ! Il y a eu nécessité de construire très rapidement une école, de la maternelle jusqu’au bac, pour les nouveaux arrivants ; cela a été réalisé, et financé entièrement par la diaspora chrétienne et par l’Église.

EEChO : Que pensez-vous des dernières opérations occidentales en Syrie ?

R.Khoury : Pour nous, c’est une agression qui sert les intérêts de l’Armée de l’Islam. A Douma, c’est elle qui détient les rênes.

Ces gens-là ont une idéologie sanguinaire et nous savons que s’ils prennent le pouvoir, ils ne laisseront pas de tête sur les épaules. Tous ceux qui ne partagent pas leur idéologie seront visés : ce sont, selon eux, des impurs et des infidèles. Ils ont dit clairement qu’ils veulent libérer les villes des « adorateurs de la croix », comme ils appellent les chrétiens, et en 2012 cette Armée de l’Islam a même lancé une fatwa contre les sunnites de Damas.

Face à ces horreurs, beaucoup parmi le peuple syrien, toutes confessions confondues, forment ce que nous appelons « la défense nationale », pour soutenir l’armée syrienne et combattre avec elle pour défendre leurs villages, leur intégrité et leur pays.

 

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