La paix en Syrie n’est pas pour demain…

Enjeux géostratégiques et semences d’éducation

D’abord, un mail venant de la ville martyre d’Alep :

« Je t’écris ces quelques lignes pour te dire où nous en sommes. Contrairement à ce que soutiennent De Mistura [NDLR: le responsable onusien pour les négociations de Genève] et vos médias menteurs, la trêve s’est traduite, pour nous, par encore plus de sang et de larmes sans, je te le répète, que je ne songe un seul instant à quitter. Pas question !

Il y a quelques jours, je te confiais mon bonheur d’avoir enfin pu profiter d’un bain chaud. La lumière et l’eau nous étaient revenues me confortant dans l’idée que Poutine et surtout Obama avaient vraiment la volonté d’en finir avec ces têtes e boucs de Saoudiens. La grande bataille d’Alep, que nous attendons depuis deux ans, ne serait donc pas aussi meurtrière que nous le craignions ? 

En réalité : tu parles d’une trêve ! Depuis 3 jours, ça barde. Mardi [19 avril] trois roquettes, expédiées par les monstres hollywoodiens, sont tombés sur ton quartier à 200 mètres de là où j’habite maintenant. Nous n’y comprenons plus rien. Nous guettons les explications de nos politiciens à la télévision mais, mis à part leur certitude qu’Alep ne sera pas sacrifiée sur l’autel des intérêts bien compris de tous les gouvernements étrangers qui nous sont tombés dessus, aucun d’entre eux ne répond à nos questions. Sans doute parce qu’eux non plus ne comprennent pas grand-chose à ce qui se joue dans l’ombre contre notre ville. Une ville qui revit la folie meurtrière de notre voisin du nord… ». KS (suite ici)

 ____ En Syrie, l’armée nationale, composée de conscrits en majorité sunnites, avait remporté de grands succès sur les milices jihadistes internationales, financées essentiellement par l’Arabie Saoudite. La trêve récente (mars-avril 2016) y a mis un frein ; elle devait être le prélude de la paix, mais c’est le contraire qui s’est produit. Il apparaît aujourd’hui que, contrairement aux accords conclus, les USA ont mis ce temps à profit pour acheminer plus de 3000 tonnes d’armes à ces milices, qui ont donc rompu les négociations de paix de Genève et reprennent maintenant l’offensive.

____ Il est dramatiquement probable que la guerre jhadiste va durer tant que ceux qui poursuivent des intérêts stratégiques, notamment la Turquie, décideront de la continuer. Et ils comptent sur l’appui de la nébuleuse des systèmes d’information qui, liés à ces intérêts, leur apportent un semblant de légitimation et anesthésient les décideurs qui sont opposés à la guerre. Si l’on veut être informé, il faut renoncer définitivement à écouter des médias qui, depuis 2014, nous ont fait croire que la « coalition internationale » (?) combattait les jihadistes, et tant d’autres contre-vérités auparavant ; il faut s’informer sur les médias du net, tant que celui-ci n’est pas censuré – ou très peu encore -, en recoupant les infos et en voyant si elles sont basées sur des faits. Face à la désinformation systématique et à la destruction des pays du Proche-Orient, il manque un Jean-Paul II ou plutôt un nombre suffisant de responsables chrétiens de sa stature.

____ En Orient, la réponse chrétienne aux violences a toujours été d’investir dans l’éducation, qui offre une terrain de rencontre entre enfants chrétiens et musulmans et à ces derniers une voie de sortie du fanatisme séculaire. À condition aujourd’hui que le pays concerné jouisse d’un minimum d’autonomie par rapport à ses voisins et aux enjeux d’intérêts géostratégiques ! Si les fauteurs de la guerre, situés à des milliers de kilomètres de là, continuent d’avoir la liberté d’agir, quel peut être l’avenir de la paix ?

Mirkis-3____ Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque chaldéen de Kirkouk, sème efficacement en espérant que l’Etat Islamique sera vaincu en Irak ; pariant sur l’avenir avec foi, il fait pour le mieux avec beaucoup de réalisme. Mais nous  qui ne sommes pas sur place, nous avons une tâche spécifique et complémentaire à mener, car c’est depuis nos Etats en Occident que jouent les facteurs des guerres récentes qui ensanglantent le Proche-Orient.

Voici son interview récente dans Famille Chrétienne :

Que dîtes-vous aux jeunes chrétiens de votre diocèse qui désirent quitter l’Irak ?
 Qu’ils partent ! Je ne veux pas les obliger à rester. La seule chose que je peux faire, c’est leur donner mon témoignage. J’ai fait mes études en Europe et je sais qu’il est très difficile de s’intégrer dans une société étrangère. Avec le chômage qui règne en Occident, un immigré sera toujours en position de faiblesse. Je pense que beaucoup de jeunes idéalisent la vie là-bas. Un étudiant en deuxième année de médecine, s’il s’en va en France, devra recommencer à zéro. Vous imaginez le prix des efforts à payer ? Moi, je propose à ces jeunes de mettre les forces qu’ils mettraient pour s’intégrer ailleurs dans la reconstruction de leur pays.
Que fait votre diocèse pour aider les étudiants chrétiens à rester ? 
 À Kirkouk, nous accueillons quatre cents étudiants chassés de la région de Mossoul après l’arrivée de Daech en août 2014. Avec l’aide en l’Église de France, nous les logeons et leur permettons de poursuivre leurs études dans les meilleures conditions possible. Nous travaillons pour leur donner le goût de vivre, l’envie de reconstruire. Cela passe d’abord par l’éducation et les études.
Aujourd’hui, votre mission est-elle d’abord humanitaire ? 
 Les Irakiens font face à une situation humanitaire difficile et l’Église est une des rares organisations qui puissent aller dans le détail de l’aide à la personne, et pas seulement des chrétiens. Nous savons que l’avenir des chrétiens dépend de l’avenir de l’Irak – et inversement –, alors nous dépassons les replis identitaires. Sur les quatre cents étudiants accueillis à Kirkouk, 10 % sont musulmans ou Yézidis. Ils se rencontrent, apprennent à se connaître et forgent de très belles amitiés.
En Irak, l’Église se faufile dans les crevasses de la société. Elle est présente là où il y a des manques, là où l’État est dépassé. Oui, c’est notre mission. Bien entendu, le côté spirituel est important, mais je me dis parfois que les gens ne peuvent pas accéder à la spiritualité s’ils n’ont pas les éléments essentiels pour vivre dignement.
Pour l’Irak, l’Église représente-t-elle encore une force qui peut compter ? 
 Il ne faut pas trop s’attacher aux chiffres, car en effectifs, nous ne représentons qu’une très faible part de la population. L’efficacité ne dépend pas du nombre. En 2003, nous n’étions que 3 % de la population, mais 36 % des médecins irakiens étaient chrétiens ainsi que 40 % des ingénieurs. Nos écoles sont reconnues pour leur excellence. Par ailleurs, nous avons une visibilité importante au niveau national et international. Le patriarche Sako et nous, évêques, œuvrons pour faire entendre la voix de notre communauté et faire évoluer notre pays.
Vous avez parlé de reconstruction, par quoi le redressement de l’Irak doit-il passer ?
 D’abord il faut que Daech soit vaincu et que la sécurité revienne. Ensuite, pour reconstruire l’Irak, la réponse est simple. Nous vivons dans une période mondialisée où nous faisons venir des bananes d’Amérique du Sud, des Iphones des États-Unis, des Mercedes d’Allemagne. Nous sommes entourés d’objets qui proviennent des quatre coins du monde. Il n’y a qu’une seule chose que nous n’ayons jamais essayé de faire venir : le respect de la citoyenneté et la démocratie. La démocratie protège les minorités et, pour qu’il y ait démocratie, il faut qu’il existe des minorités.
Pensez-vous réellement que la démocratie et la citoyenneté soient possibles en Irak ? 
 Si la démocratie est inenvisageable actuellement, c’est parce que les gens ne sont pas éduqués aux sciences humaines et sociales. Il faut donner le goût de l’analyse, cette capacité à prendre du recul. Les fanatiques sont des gens qui sont sûrs de ce qu’ils savent sans jamais imaginer que ce « savoir » puisse être faux, malade ou bien étriqué. Les idiots se pensent savants et les intelligents sont hésitants. Si nous arrivons à semer le doute chez les fanatiques, alors nous pourrons sauver notre société.
C’est pour cette raison qu’en 2006, j’ai fondé à Bagdad l’Académie des sciences humaines. J’ai essayé de rassembler des personnes désireuses de savoir ce qu’il se passait chez l’autre. Mais le problème est que bien souvent les gens sont obnubilés par leurs soucis personnels. Il est par exemple très difficile de dialoguer avec les autorités musulmanes, car il y a des luttes au sein même de leurs communautés.

Alors, que faire ? Si vous voulez nous aider à reconstruire l’Irak après Daech, il faudra fortifier les écoles, les universités, les hôpitaux. Ce sont là les meilleurs investissements qui puissent être faits. Les Jésuites avaient une excellente université à Bagdad et ont formé de grands responsables irakiens. Pourquoi ne pas les faire revenir, avec d’autres ? On a besoin de donner des repères aux Irakiens, ils sont aujourd’hui déboussolés. Pour insuffler ces repères, la France et la francophonie peuvent être d’une aide considérable, car la langue française véhicule des valeurs qui ouvrent à l’universel.

Un des projets de « remodelage’ du Proche-Orient en fonction d’intérêts extérieurs (2006)
Proche_Orient-remodelage-Peeters-2006

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