Sadducéens et refus de la résurrection des corps

Qu’est ce que l’on sait des Sadducéens ?

Dans le fameux récit de la rencontre du Christ et des Sadducéens, dans Luc 20, 27-40, vient se poser la question de la résurrection des corps ou, autrement dit, de leur « relèvement » après la mort. Fort hypocritement des représentants du « parti » autrefois majoritaire au Sanhédrin, des Sadducéens donc, se hasardent à poser au « Maître », au « Rabbi », au « Docteur » cette question fondamentale dont ils pensent avoir l’évidente réponse. Et, espérant mystifier celui auquel ils s’adressent, sans pourtant lui marchander un titre prestigieux, ils se voient eux-mêmes floués dans leurs espérances par la réponse qui leur est faite : après la Résurrection, les hommes seront comme des anges !

Notre Dieu est le Dieu des vivants ; il existe donc une vie après la vie. Mais la conception qu’en ont alors les Juifs, véhiculée par les Pharisiens, conception dont se moquent ici les Sadducéens, est suffisamment simpliste pour se prêter à la dérision.

La controverse illustre plus globalement le refus de l’Histoire par les Sadducéens. Ceux-ci sont eux-mêmes une énigme. Membres de la classe sacerdotale, en conflit avec les Pharisiens, ils refusent en effet l’idée même de résurrection. C’est à peu près tout ce que l’on sait d’eux – mise à part la référence que leur nom fait à Sadok, grand-prêtre sous David. Partisans des Romains, au temps du Christ, ils ont pourtant perdu le contrôle du Sanhédrin au profit de leurs opposants pharisiens.

La doctrine des Sadducéens face aux Pharisiens

Les Sadducéens, face aux Pharisiens, se prévalent d’une doctrine « moderne », et fort simple : pour eux, il n’y a rien après la mort ! L’âme disparaît. Il n’y a pas d’autre monde… Il n’y a pas de destin. L’homme a le libre choix du bien et du mal durant sa vie. Après la mort, tout est fini. Leur doctrine consiste à nier toute réalité « post mortem ». En cela ils s’opposent aux Pharisiens qui croient, eux, dans l’immortalité de l’âme et la résurrection des « bons » – les « mauvais » étant pour leur part la proie d’un châtiment éternel !

Cette « théologie » est le fait d’un groupe de prêtres, fondateurs de la secte, qui s’expriment d’ailleurs habituellement autant sur le plan théologique que politique… Ils ne reconnaissent de valeur qu’à la Torah, vouant tout le reste des écrits bibliques au néant ! Et quoique minoritaire leur « lobby », à l’époque du Christ, domine la caste sacerdotale. Pour eux l’Histoire n’existe pas, la Providence n’existe pas, seul règne le chaos des choix humains. L’homme n’a devant lui ni avenir, ni espoir de résurrection. On peut dire, sans caricaturer, que le Sadducéen est le prototype de « l’athée moyen » d’aujourd’hui, et il est prêtre ! On aura compris que pour lui le Messie est le héros d’une fable…

La controverse au sujet de la résurrection des corps      

Revenons à la controverse avec le Christ au sujet de la résurrection des corps, en tenant compte du fait que, pour eux, le monde, tel qu’il est, est un non-sens. Et en effet leur position est tout à fait singulière, puisque tous les peuples de la terre, de tous les temps, ont cru, jusqu’au dix-huitième siècle européen au moins, en une transcendance comprenant au moins un dieu, ou un panthéon, et un au-delà : réminiscence de la religion primitive commune à tous les humains ? Les Sadducéens, pour leur part, sont parvenus à éliminer jusqu’à l’Histoire d’Israël, et ils sont pratiquement au pouvoir ! Pourtant les Hébreux croyaient à la résurrection depuis Moïse au moins, comme les Égyptiens d’ailleurs… Dieu n’a-t-il pas promis de restaurer le monde ?

Et la réponse de Jésus va les prendre à contre-pied en affirmant : un, que les morts ressuscitent en effet ; deux, que les ressuscités seront alors comme des anges ! Ses contradicteurs, connaissant le concept « d’ange » mais n’y croyant pas, ne pouvaient imaginer une telle métamorphose… Et cette réponse souligne le caractère oiseux de leur question…

Remarquons que l’analogie angélique ne porte que sur l’état des hommes et des femmes ressuscités, qui n’auront alors aucune relation charnelle car ils n’en éprouveront pas le besoin. Et le Talmud lui-même nous précise, depuis, que dans l’autre monde, on ne boit pas, on ne mange pas, tous sont égaux et en sympathie. Le corps des ressuscités subit bien une métamorphose.

Et pourquoi les anges n’auraient-ils pas de relations charnelles ? Mais tout simplement parce qu’ils ne sont pas susceptibles de mourir, et donc de se survivre à eux-mêmes en procréant… (On peut penser pourtant que les anges, aussi, se multiplient, mais c’est un autre registre.)

On dirait là que le Christ établit une relation de causalité entre la reproduction charnelle et la nécessité de la mort. Dans les Cieux, on ne meurt pas, on ne meurt plus… La relation charnelle serait une suite de la déchéance originelle. Adam et Ève, après la chute perdent leur vêtement de Lumière, et, nus, ils sont alors couverts de peaux de bêtes et soumis à la mort ; mais dans l’au-delà les hommes, à commencer par leurs premiers parents, retrouvent un corps de Lumière… Ils participent au mystère de la résurrection. Et la Résurrection du Christ est le principe de toute résurrection : en ressuscitant il ressuscite dans l’intégralité de son être, corps et âme.

Voilà bien un pavé dans la mare des Sadducéens !

L’humanité ressuscitée va participer à la propre dignité filiale du Christ ressuscité en lequel filiation et relèvement d’entre les morts s’accordent pour le proclamer Fils de Dieu.

On aura constaté la conception mesquine de la sexualité qui est celle des Sadducéens exprimée dans la manière dont il règlent le sort des veuves. Pour eux le mariage n’est qu’union charnelle, on pourrait dire bestiale – naturellement puisqu’il nient toute transcendance accessible à l’homme. Le mariage n’est en l’occurrence qu’un moteur de filiation, et c’est bien un fait, reconnu et réglé par la Loi d’ailleurs, que le seul mari de la femme est le premier frère défunt. Pourtant, s’accrochant à la Loi, il semble bien que les Sadducéens n’ont pas compris, dans leur petitesse et leur mesquinerie, toute la signification du mariage, pas plus qu’ils n’ont saisi toute la grandeur de la destiné humaine.

Le Christ sacralise la Filiation par sa Divinité en nous ouvrant à la toute-puissance de Dieu et en nous rappelant les promesses de l’Histoire, dont celle de notre propre résurrection.

Père Frédéric Guigain

Voir également la conférence du P. Guigain lors de de la session de Pentecôte 2016 de l’association EEChO, intitulée « Le refus de la résurrection par les Sadducéens »

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10 thoughts on “Sadducéens et refus de la résurrection des corps

  • 20 mai 2019 at 19 h 53 min
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    Passionnant article, merci. Les différents courants juifs existant à l’époque de Jésus méritent d’être mieux connus. Ce serait formidable s’il pouvait y avoir une série d’articles présentant ces différents courants, en particulier, le courant des Nazoréens qui se seraient établis dans des lieux dont les noms possèdent des résonances messianiques : Nazareth peut faire référence à netzer et Kokhav, qui veut dire « étoile », référence à l’étoile de la prophétie de Balaam. Julius Africanus et Eusèbe de Césarée, (Histoire Ecclésiastique, I, 7, 14) les évoqueraient et le surnom de Bar Kokhaba, « fils de l’étoile », qui vient de Nb 24, 17, sera repris un siècle plus tard par Bar Koziba. En Ap 22, 16, à la titulature du « rejeton de David » est ajoutée celle de « l’étoile du matin » (kokhaba).
    Ce mot de « nazoréen/nazaéen » à lui seul est au cœur de bien des phénomènes liés à la Révélation ou à son détournement (les « ébionites » ou d’autres courants du même type à l’origine de l’islam). Il faudrait mettre de l’ordre autour de ce terme et des différents concepts qu’il porte. Un article, voire un livre, en tout cas une étude sur ces Nazoréens vrais (le milieu d’origine de Jésus) ou autoproclamés (ceux qui seront plus tard à l’origine de l’islam) serait vraiment très très utile, tant la confusion règne autour de ce mot.

    Pour revenir aux sadducéens, on a l’impression qu’ils sont en perte de vitesse face aux pharisiens qui n’ont pas attendu la chute du Temple pour commencer à prendre le contrôle du monde juif.

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  • 21 mai 2019 at 10 h 42 min
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    Stupéfiant ! Ces Sadducéens me font penser aux laics actuels.

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  • 22 mai 2019 at 15 h 15 min
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    Article passionant et remarquable.

    Par contre je suis moins convaincu par la singularité de la position de ces incroyants ou athés. J’en veux pour preuve l’impressionnante et laborieuse demonstration de Platon dans un livre entier des Lois à prouver l’existence de Dieu par l’argument téléologique (la cause première de l’animation). Signe, de mon point de vu que, même dans l’antiquité, l’orientation vers Dieu ou les divinités n’allait pas systematiquement de soi. Du coup je suis moins étonné de cette incise dans les Evangiles d’une confrontation avec des incroyants. Confrontation qui dans le plan du Salut me semble nécessaire et fort utile pour nous aujourd’hui.

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    • 30 mai 2019 at 1 h 29 min
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      Oui, les anges prennent souvent cette apparence pour se manifester, mais pas obligatoirement avec des ailes (voir les évangiles de la résurrection).

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  • 4 juin 2019 at 14 h 51 min
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    La théologie sadducéenne ressemble beaucoup à celle des Qaraïtes.Y a-t-il eu des familles sadducéennes déportées par les Romains sur les rives de la Mer Noire?

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    • 7 juin 2019 at 16 h 29 min
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      Effectivement. Lors de la première guerre juive, entrevoyant très tôt l’issue de la guerre une fois que les légions sont arrivées, les familles « sacerdotales » (celle qui régnaient sur le Temple) prirent le parti des Romains. La politique romaine était de demander aux juifs de leur bord de s’éloigner, et ces familles partirent… en Crimée.
      Je n’ai pas de bibliographie sous la main, mais des internautes habiles doivent pouvoir pallier cela.

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  • 9 juin 2019 at 8 h 54 min
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    Quand je cherche dans le Talmud la trace de ces sadducéens, je crois que c’est eux qui forment le gros du bataillon des  »apikorès » – le mot vient d’Épicure et désigne les hédonistes, les personnes qui à l’époque, comme l’Occidental aujourd’hui, recherchent le bonheur dans le plaisir – impasse totale, comme on sait.

    En effet, s’il n’y a que cette vie terrestre et rien ensuite, il faut en tirer le maximum sans perdre de temps :  »mangeons et buvons, car demain nous mourrons », ou encore  »il n’y a de bon pour l’homme sous le soleil que de langer, de boire et de se réjouir » (Qohélèt 8,15).

    Mais Jésus nous dit avec force et solennité que les païens, donc la plupart des Francais d’aujourd’hui, seront jugés, en vue d’une vie éternelle, en fonction du bien ou du mal qu’ils auront fait (Mt 25,31)

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  • 4 juillet 2019 at 20 h 34 min
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    La video du Père Guigain sur les sadducéens ne laisse aucun doute quand au maintien de la spécificité masculine et féminine, lors de la résurrection des corps. Cette précision est importante pour chasser d’une part le danger de la théorie du genre et d’autre part ne pas laisser de place à la théorie spirite. Cette video est un complément indispensable à la lecture de cet article.

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  • 4 janvier 2020 at 11 h 48 min
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    Merci, passionnant et impressionnant. L’exégèse est habilement conduite et débouche sur de nombreuses perspectives pour quelqu’un comme moi qui revient de loin après avoir cru des décennies à la fable républicaine inspirée par les Lumières… Y-a-t-il un cercle EECHO à Bordeaux ?

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