Mystère de la mort et rencontre du Christ : objection ?

Bonne nouvelle aux défunts :  réponse aux objections

par Françoise Breynaert

_ _ Dans le catéchisme de l’Eglise catholique (CEC), certains voudraient opposer les paragraphes 633 et 1022 aux paragraphes 634 et 635. Citons les passages concernés.

633. « /…/ Jésus n’est pas descendu aux enfers pour y délivrer les damnés ni pour détruire l’enfer de la damnation mais pour libérer les justes qui l’avaient précédé. » (CEC 633 ; repris « en bref » au n° 637)

634. « La Bonne Nouvelle a été également annoncée aux morts … » (1P 4,6). La descente aux enfers est l’accomplissement, jusqu’à la plénitude, de l’annonce évangélique du salut. Elle est la phase ultime de la mission messianique de Jésus, phase condensée dans le temps mais immensément vaste dans sa signification réelle d’extension de l’œuvre rédemptrice à tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux, car tous ceux qui sont sauvés ont été rendus participants de la Rédemption.

635. Le Christ est donc descendu dans la profondeur de la mort (cf. Mt 12,24 Rm 10,7 Ep 4,9) afin que « les morts entendent la voix du Fils de l’Homme et que ceux qui l’auront entendue vivent » (Jn 5,25). /…/ »

1022. « Chaque homme reçoit dans son âme immortelle sa rétribution éternelle dès sa mort en un jugement particulier qui réfère sa vie au Christ, soit à travers une purification, soit pour entrer immédiatement dans la béatitude du ciel, soit pour se damner immédiatement pour toujours. » (CEC 1022)

_ _ Le paragraphe 633 réaffirme l’existence de l’enfer. Cette existence de l’enfer a été remise en question après les excès de l’augustinisme qui nous conduisaient à penser que les non-baptisés allaient tous en enfer, ce qui représentait à la fois une injuste cruauté envers des ignorants et un grand gâchis d’âmes sauvées à si haut prix. Si le paragraphe 633 peut réaffirmer l’existence de l’enfer, c’est parce que le paragraphe suivant, 634, sort de l’augustinisme en décrivant l’accomplissement de l’œuvre rédemptrice du Christ dans la Bonne nouvelle aux défunts. La Bonne nouvelle aux défunts dépasse le simple mystère du samedi saint et de la « descente aux enfers (séjour des morts) » à la rencontre des justes défunts d’avant le Christ. Elle concerne « tous les hommes de tous les temps », jusqu’à nos jours.

_ _ Le paragraphe 1022 parle de la rétribution « dès la mort ». Qualifiée « d’immédiate », cette rétribution signifie que la rencontre avec le Christ et sa bonne nouvelle font partie du passage de « la mort » et n’enlèvent rien à « l’unique médiation » du Christ. Si formellement on peut trouver une opposition avec les paragraphes 634-635, il faut être clair : le CEC a connu plusieurs éditions car le travail de composition avait été fragmenté et les équipes rédactionnelles étaient diverses. Celle des paragraphes 633-637 était directement pilotée par le futur Pape Benoît XVI qui a personnellement veillé sur leur rédaction finale (très ou même trop ramassée). Il ne fait aucun doute qu’ils expriment la position du Magistère, et qu’aucun autre article ne peut leur être opposé.

_ _ Par ailleurs, généralement, ces mêmes personnes agitent l’idée que cet enseignement aurait pour la mission de l’Eglise un caractère funeste. Rien de ce qui est dit de « la Bonne nouvelle aux défunts » par le catéchisme n’a de telles conséquences.

_ _ J’ai pris le soin de préciser les choses dans la première moitié de mon livre. Je distingue, pendant la vie sur la terre, la grâce prévenante qui conduit au Christ et le salut proprement dit, qui communique la vie divine. L’évangélisation est urgente pour transmettre la vie divine. Je distingue aussi les préparations à l’évangile des rejets de l’évangile, lesquels constituent un danger réel pour la vie éternelle. L’évangélisation est urgente pour et détourner les hommes des post-christianismes anti-christiques.

°°°

_ _  Généralement, ces auteurs d’objections sont héritiers de l’augustinisme.
Saint Augustin a étouffé l’enseignement sur « la voix du fils de l’homme » adressée aux défunts[1], de même qu’il a aussi omis l’enseignement sur la Parousie.
Dans l’augustinisme, on pense qu’à la mort « on se retrouve jugé ». On ne se demande plus comment, car la question n’aurait que des réponses indignes : ayant vidé la rencontre ultime de toute consistance, il ne reste plus à Dieu que le rôle mesquin de clore une comptabilité et de régler l’aiguillage d’un train.
_ _ La période moraliste de saint Augustin désigne la dernière partie de sa vie, quand il ne considère plus le salut-vivification accompagnant la voix du Fils de l’homme s’adressant aux défunts ou accompagnant la Venue glorieuse du Christ dans le monde. L’augustinisme est moraliste, or l’exercice de la morale nécessite une conscience éclairée, adulte, faisant appel à la « délibération » pesant le pour et le contre – ce qui, on l’admettra, n’est pas vraiment un acte propre à une âme séparée du corps.

_ _ Tout naturellement, les héritiers de l’augustinisme ont du mal à comprendre qu’un être immature au plan intellectuel (un bébé, un handicapé profond) puisse poser néanmoins de véritables choix, qui sont « j’aime, je n’aime pas, et ensuite je désire, je ne désire pas, etc. » En conséquence, ils pensent que de tels êtres humains ne peuvent pas avoir posé d’actes méritants le Ciel (c’est-à-dire selon eux « moraux ») et donc, à moins d’être baptisés, ils ont imaginé pour eux des « limbes » qui ne sont pas vraiment l’Enfer mais qui sont bien loin de la béatitude céleste !

_ _ Il est évident que l’enseignement moral de Jésus est très important, mais l’Evangile ne s’y limite pas. Jésus est formel : « Laissez les petits enfants et ne les empêchez pas de venir à moi; car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume des Cieux »  (Mt 19, 14). Or, du fait qu’ils ne peuvent pas analyser les tenants et les aboutissants d’un acte, les petits enfants (et les handicapés profonds) ne peuvent pas être tenus responsables d’actes moraux ni être passibles du tribunal. Il faut donc en déduire que la rencontre avec le Christ à l’heure de la mort n’est pas analogue à un passage dans un tribunal.

_ _ Lorsque l’on retrouve correctement l’enseignement biblique, l’hypothèse des limbes apparaît superflue, et la discussion sur l’option finale dans la mort  est inadaptée[2], au sens où, dans la mort, il ne s’agit pas d’une « option par délibération », mais, à la manière des petits enfants, d’une attraction et d’un amour, ou au contraire, d’une répulsion et d’un rejet. C’est cela que l’augustinisme ne comprend plus.

_ _ De fait, à bien y regarder, l’image du tribunal n’est donnée par Jésus que pour le jugement des nations lors de sa Venue glorieuse (Mt 25,31s), non pour l’heure de la mort individuelle (Jn 5,25-27). La raison en est très simple : les nations, en tant que réalités terrestres, ont besoin de passer au crible d’un tribunal avant de pouvoir porter le règne de Dieu sur la terre comme au ciel : l’Antichrist et ses suppôts (2Th 2,8) doivent disparaître de la terre (dans l’étang de feu, Ap 19,20). Mais les individus, lorsqu’ils meurent, vont au ciel, au purgatoire ou en enfer selon un processus différent.

______________________
[1] Deux passages de saint Jean sont particulièrement peu cités dans la tradition moraliste – ils montrent précisément qu’il ne s’agit pas d’un tribunal –:
« En vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient – et c’est maintenant – où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront » (Jn 5, 25)
« Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au Nom du Fils unique de Dieu. [19] Et tel est le jugement : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées. Mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. » (Jean 3, 17-21)
[2] Dom Pius Mary Noonan, L’option finale dans la mort. Réalité ou mythe ? Tequi 2016

Françoise Breynaert, Bonne nouvelle aux défunts, perspective pour la théologie des religions, éd. Via romana, Versailles, 2014 (Préface Mgr Minnerath)

Article original : http://www.foi-vivifiante.fr/pages/nouveau-testament/la-bonne-nouvelle-aux-defunts-reponse-aux-objections.html#U3TePFTblwU05zIq.99.

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3 thoughts on “Mystère de la mort et rencontre du Christ : objection ?

  • 27 avril 2018 at 20 h 09 min
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    Un très grand merci à Mme Françoise Breynaert pour cet article précis et percutant ! Quelques remarques :

    1. Le « immédiatement » a vraisemblablement été introduit afin de corriger l’idée (de Jean XXII) que les morts devaient attendre la fin du monde et le jugement dernier pour poursuivre leur vie éternelle, que ce soit au Paradis, au Purgatoire, en Enfer ; il n’a nécessairement pour implication l’idée que la mort est un instant t et non un moment, celui du passage correspondant à l’heure de la mort, mystère de la mort qu’on peut assimiler à la descente du défunt aux Enfers (au pluriel) voire au Shéol où il est rejoint par le Christ.

    2. Ce temps, l’heure de la mort, peut, dans l’espace-temps qui est le nôtre, celui de la matière et de l’énergie, paraître court ; mais dans celui du Shéol (assimilé aux Enfers), il peut être long et permettre une vraie rencontre du défunt avec Jésus, qui y prêche la Bonne Nouvelle et qui Seul sauve. Voilà pourquoi même un suicidé peut dans ce passage se repentir et n’être point damné. S’il n’en était pas ainsi, alors l’Église affirmerait (et pas seulement le curé d’Ars) qu’on doit croire avec certitude que les suicidés sont damnés ; elle ne dit pas cela même si certains l’ont cru autrefois. Heureusement, ce n’est plus le cas et on ne renvoie pas les mères en leur disant que leur enfant désespéré car trop fragile est passé des souffrances souvent pénibles de la vie à celles bien pires encore de l’Enfer…

    3. Il ne s’agit pas d’une deuxième chance mais de la dernière dans la vraie vie et avant la mort définitive ; pour ceux qui ont étudié sérieusement et honnêtement le phénomène, cela correspond à ce qu’ont vécu des expériences de mort imminentes complètes.

    4. Ceux à qui cette perception déplaît vident en effet la rencontre ultime de toute consistance, et ne laisse plus à Dieu « que le rôle mesquin de clore une comptabilité et de régler l’aiguillage d’un train ». Ils remplissent également l’Enfer d’une vaste majorité de l’humanité. Par charité et souci de ne pas faire plaisir à l’Ennemi qui se réjouirait d’une telle statistique, on doit espérer qu’ils se trompent.

    5. De fait, ils confondent souvent la religion avec la morale i.e. les œuvres comme d’autres la confondent avec la foi. Or saint Paul dit très bien que les plus grandes œuvres seules et la plus grande foi ne servent de rien (1 Corinthiens 13) mais que c’est la Charité c’est-à-dire l’Amour qui sauve. Ce qui est logique car Dieu Seul est Amour et Dieu Seul est Sauveur, dans Son essence.

    6. Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin sont de grands esprits et de grands saints, il faut les vénérer mais ils sont loin d’être infaillibles tant ils ont été marqués l’un et l’autre par le manichéisme et par l’aristotélisme. Les chrétiens latins un peu cultivés ne connaissent souvent qu’eux et c’est un tort ; la théologie des Pères d’Orient, grecs ou syriaques est différente, souvent plus proche de christianisme originel et authentique et plus soucieux de Charité que de rationalité, c’est-à-dire de raison raisonneuse souvent déraisonnable. Il faut redécouvrir les Pères d’Orient, qui appartiennent aussi au patrimoine de l’Église catholique et donc universelle. Les « orthodoxes » ont sur ces sujets des vues souvent moins ambitieuses mais plus proches et de la tradition apostolique et également des découvertes scientifiques récentes sur le temps et l’espace !

    7. On a souvent dit que la descente aux Enfers du Samedi Saint ne concernait que les morts antérieurs à la mort de Notre Seigneur Jésus ; en réalité, on ne peut écarter l’idée suggérée par le catéchisme que cette descente aux Enfers du Samedi Saint est aussi directement à l’origine de la rencontre de tout défunt avec le Seigneur. Car Dieu n’est pas soumis à l’Espace et au Temps tels que nous les connaissons ; la physique quantique ouvre la voie à de nouvelles pistes qui montre que le temps newtonien n’est qu’une modalité du temps, on parle même de rétrocausalité concernant l’intrication qui a lieu non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps ; l’expérience des mystiques qui traversent ces deux réalités est bien là pour le montrer. C’est pour cela qu’il existe une tradition orthodoxe (mais pas que) qui dit que ce serait l’Incarnation qui serait le moyen du salut : car elle a permis la mort et donc le passage dans la mort du Christ (occasion de salut) et non Sa souffrance seule… La souffrance seule ne sauve pas, c’est encore une fois la Charité qui seule sauve celui qui la reçoit.

    8. Dernier point : comme le dit très bien Mme Breynaert, « dans la mort, il ne s’agit pas d’une « option par délibération », mais, à la manière des petits enfants, d’une attraction et d’un amour, ou au contraire, d’une répulsion et d’un rejet. » Le salut n’est pas un effet de la rationalité mais un effet de la charité qu’on a ou non… Si l’intelligence rationnelle était le moyen du salut alors les gens et les anges les plus intelligents seraient au paradis et on sait que ce n’est pas le cas. Si les petits enfants sont sauvés et donnés en modèles, c’est que le salut ne passe pas par le choix de la raison. La raison chrétienne ne sert qu’à éclairer le choix de la Charité i.e. de l’Amour.

    9. La crainte pastorale de ceux qui veulent réduire à un instant 0 la rencontre avec le Sauveur est d’encourager le relâchement ; cela est faux car c’est la présentation d’une modalité cruelle et incompréhensible du jugement qui a éloigné et éloigne encore de la foi l’humanité en particulier l’humanité occidentale. Dire que ceux qui contestent la vision augustino-scolastique incitent à croire que l’on peut pécher toute sa vie et refuser l’Amour charité toute sa vie pour au dernier au moment se sauver est faux profondément faux car l’arbre tombe du côté où il penche le plus souvent. Cette conception de la mort comme moment/rencontre et non comme instant/jugement instantané est donc tout sauf laxiste quand on la comprend, animé par l’intelligence et la bienveillance qui devraient procéder de la Charité. Elle est en revanche conforme aux Écritures saintes, aux découvertes scientifiques récentes, à la tradition des Pères d’Orient, aux récits des mystiques y compris d’Occident (par exemple sainte Faustine, Maria Simma, Marthe Robin pour les plus récentes).

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  • 20 mars 2024 at 12 h 54 min
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    Bonjour,
    L’ouvrage de Madame Breynaert est particulièrement intéressant. Il me semble cependant peu sourcé dans la tradition de l’Eglise puisque peu de référence patristiques sont fournies et que, pour certaines, elles peuvent être interprétées sans difficulté sans une perspective augustinienne.
    Savez-vous si un travail de recensement a été engagé pour approfondir la connaissance de l’enseignement patristique en la matière ?
    Egalement, j’ai lu le P. Gallez évoquer à plusieurs reprises dans ses articles le fait que cet enseignement relatif à la rencontre avec le Christ lors de la mort était un enseignement conservé dans les églises orientales. Quelles sont les références documentaires ou bibliographiques ?

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    • 20 mars 2024 at 14 h 45 min
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      Le commentaire de « Julien » éclaire déjà certaines questions soulevées.
      Les Pères de l’Eglise n’existent que pour mettre en lumière la Révélation, qui est plénière et ne subit aucun développement ultérieur … mais sans doute des appauvrissements. Clairement, transformer le Samedi Saint en jour vide alors que TOUTES les Eglises orientales fêtent la victoire du Christ sur le pourvoir des Enfers, indique un problème. Les Pères ne sont pas souvent très clairs, ils parlent par images comme les icônes (de la Descente aux Enfers ou du Christ emmenant Adam et Eve lors de sa résurrection). Cependant, il existe suffisamment de passages dans le NT pour nous faire comprendre le mystère, et F.B. les a analysés déjà dans le livre de 2016 Bonne Nouvelle aux défunts (sauf un, un oubli).
      Nous devons revenir sans cesse à la Révélation, qui est close : on n’y a rien ajouté par après. Les apôtres ont fait ce qu’ils pouvaient pour la transmettre dans des contextes très divers, d’où une pluralité d’Eglises dès les débuts, quoique sur un solide tronc commun judéo-araméen. D’où aussi l’importance de l’unité entre toutes les branches de l’Eglise.

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