Prêtres du Christ : une invention tardive ?

1P 5,1-3 : Quant aux presbytres (= anciens) en fonction parmi vous, je les exhorte, moi qui suis co-presbytre et témoin des souffrances du Christ, communiant à la gloire qui va se révéler : soyez les pasteurs du troupeau de Dieu qui se trouve chez vous ; veillez sur lui, non par contrainte mais de plein gré, selon Dieu ; non par cupidité mais par dévouement, non pas en commandant en maîtres à ceux qui vous sont confiés, mais en devenant les modèles du troupeau. »

ILS DÉSIGNÈRENT DES ANCIENS POUR CHACUNE DES ÉGLISES

Par le P. Michel Gitton

Cela n’a l’air de rien, on pourrait croire qu’il s’agit seulement de placer quelques responsables pour le bon fonctionnement des communautés nouvellement fondées par Paul et Barnabé, alors qu’il s’agit bel et bien d’ordonner des prêtres pour les églises qu’ils ont fondées. Que le nom « d’ancien » ne nous trouble pas, c’est tout simplement le terme qui a donné en français le mot « prêtre » (du grec presbutéros, c.a.d. ancien). Cela ne veut pas dire qu’ils étaient tous nécessairement vieux, mais ce titre, qui vient de l’hébreu (ziqeney qui signifie barbus !), désignait au temps du Christ les responsables qui dirigeaient les communautés juives de la Diaspora.

Mais justement, certains pourraient objecter que ce titre n’a rien de « sacerdotal ». Pourtant il existait dans le judaïsme des « sacrificateurs » (kohanim) pour le Temple de Jérusalem qui offraient les victimes sur l’autel et répondaient aux consultations sur le Loi, ils étaient fortement sacralisés et leur investiture était une cérémonie impressionnante, or ce n’est pas ce titre (ou son équivalent grec hiéreus) qui est employé au départ pour les ministres de l’Église chrétienne. C’est beaucoup plus tard qu’on leur a appliqué le langage sacerdotal, et – conséquence amusante ! ‒ le mot français « prêtre » (qui a évincé « sacerdote », encore utilisé en ancien français) a fini par désigner le ministre du culte…

Si je m’attarde sur cette histoire de nom, c’est qu’elle a servi, il n’y a pas si longtemps, à discréditer la doctrine de l’Église sur le caractère sacré de la mission des prêtres. On nous a dit que ceux-ci étaient au départ des hommes mûrs qui exerçaient des fonctions de direction au profit de la communauté ; sans doute, à certaines occasions, présidaient-ils le culte et ‒ pourquoi pas ?‒ le repas du Seigneur. Mais cela n’aurait impliqué pour eux ni mode de vie particulier, ni consécration spéciale, ils auraient pu exécuter cette fonction pour un temps déterminé etc… Mais tout cela n’est qu’imagination. Ce n’est pas parce que nous avons peu d’informations sur ces « anciens » des premiers temps qu’il faut les imaginer sur le modèle des pasteurs protestants (qui, eux au moins, ont le ministère de la parole !). Saint Jacques nous dit, qu’en cas de maladie, on faisait appel aux « anciens » : « ceux-ci prient sur lui (le malade), en l’oignant d’huile au nom du Seigneur » (5,14), ce qui montre déjà le lien avec les sacrements. Ils ont au préalable connu une véritable ordination par imposition des mains reçue, d’un apôtre et de tous les membres du presbyterium (1 Timothée 4,14). Cette fonction « d’ancien » prolonge visiblement le ministère apostolique, puisque saint Pierre, s’adressant à ceux qu’il connaît, se dit « co-presbytre » avec eux (1Pierre 5,1).

Or le Christ à la Cène a bien marqué qu’il « consacrait » ses disciples, au sens fort du mot, pour qu’ils soient ses envoyés comme il est l’Envoyé du Père (Jean 17,18-19). Il leur a lavé les pieds comme préalable à cette consécration sacerdotale et, comme Pierre se rebiffait devant ce geste fou d’abaissement, il l’a menacé de l’exclure de la « part » qu’il avait avec Jésus (souvenir des lévites qui avaient Dieu pour « part », dans le Temple de Jérusalem, cf. Psaume 15 (16), 5-6).

Comme on le dit souvent et à juste titre, si les premières générations chrétiennes n’ont pas employé un vocabulaire « sacerdotal » pour parler des ministres de leur Église, c’est que, d’une certaine façon, la place était prise par les officiants du Temple de Jérusalem et ceux des temples païens : s’en servir pour l’Église chrétienne aurait impliqué un grand risque de confusion. En ces temps difficiles pour le clergé catholique, ne laissons pas s’obscurcir la réalité de son institution par le Christ !  (source)

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3 thoughts on “Prêtres du Christ : une invention tardive ?

  • 30 juin 2022 at 20 h 32 min
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    Merci pour ces précisions bien utiles. Une confirmation peut être apportée comme suit :
    L’investiture d’un Grand-Prêtre fait l’objet de solennités qui durent sept jours (Ex 29, 35 ; Lv 8, 33), ce qui explique les deux apparitions du Ressuscité, à une semaine d’intervalle, la première évoquant la rémission des péchés et la seconde où Thomas, désormais présent, est invité par Jésus à étendre sa main dans son côté ; la mention des « huit jours après » (Jn 20, 26) et qui clôture la semaine d’investiture des apôtres comme grands prêtres : être prêtre signifie donc être spécialiste de la rencontre de l’homme avec Dieu (qurbana) !
    Cf. le « fil horizontal 8 » dans F. Breynaert, Jean, l’évangile en filet, Paris 2020.

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  • 5 juillet 2022 at 13 h 29 min
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    Merci au père Gitton pour cet article!

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    • 14 août 2022 at 18 h 14 min
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      Grâce à toutes ces recherches, je trouve extraordinaire de pouvoir progressivement mettre en place dans notre esprit le démarrage de l’Eglise. On ne nous a jamais dit que les apôtres avaient été ordonnés comme le grand-prêtre, sûrement chacun avec les 12 pierres représentant les 12 tribus. L’évangélisation en maisonnée, qoubala et qourbana devrait nous faire réfléchir, à condition d’être portée à la connaissance de tous les chrétiens… Fabuleux!

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