L’héritage de l’exégèse allemande du 18e siècle

Petits rappels concernant l’exégèse « moderne »

Pour pouvoir dire que les écrits du Nouveau Testament sont tardifs (et donc fabriqués), il importe de dire a priori qu’ils ont été composés – par écrit – en grec, selon un héritage qui nous vient de l’exégèse allemande du 18e siècle. Mais la primauté du grec sur l’araméen est hautement discutable en soi (voir par exemple eecho.fr/etude-orale-de-marc-7-32-35-la-guerison-du-sourd-muet).

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__ De plus, les manuscrits grecs posent de nombreux problèmes à ceux qui les étudient, et pas seulement parce qu’ils se répartissent en sept familles irréductibles entre elles : beaucoup de passages soulèvent des questions qui ne se résolvent pas simplement en disant qu’il s’agit de fautes de copistes (lesquelles sont d’ailleurs très nombreuses). L’exégèse « moderne » tient ces difficultés pour des preuves que les textes ont été composés tardivement, dans et par des groupes divers. Cette logique conduit à avancer que le personnage historique de Jésus est lui-même une fabrication. C’est le but réel de l’a priori (sauf aux yeux de ceux qui ne veulent jamais rien voir), indépendamment de la valeur de la recherche historico-critique elle-même – si, au départ, elle est orientée par des postulats faux et des lacunes graves, elle ne peut évidemment pas porter de bons fruits.

__ On ajoute encore que les chrétiens d’Orient araméens ont dû retraduire plus tard leurs propres textes du grec (les apôtres parlaient araméen), sans doute parce, durant les premiers siècles, les chrétiens n’existaient pas encore hors de l’empire romain ‒ c’est en tout cas ce qu’on apprend à pas mal d’étudiants ‒ ou parce que l’araméen, langue officielle de l’Empire perse et langue du commerce international (tenu majoritairement par les juifs qui représentaient alors 2 à 3 % de la population mondiale !) aurait été une langue insignifiante face aux dialectes grecs.

__ Qu’il y ait des difficultés dans les manuscrits grecs est tout à fait normal s’il s’agit de traductions, et, en plus, des traductions faites en des lieux divers. Un enseignant sensé et supposé compétent devrait se dire alors : « Je vais comparer les textes grecs avec les textes en araméen, et, tant qu’à faire, je vais regarder aussi les vieilles traductions latines dont certaines s’écartent de textes grecs importants ». Et il va apprendre l’araméen en plus du grec (et du latin), comme Rabelais y invitait encore en son temps. Mais c’était avant l’exégèse protestante allemande. L’idée que les évangiles ont été écrits en grec est devenue un dogme, y compris dans l’Eglise latine, et personne ne se risque plus à comparer les textes. Osons.

__ D’abord, les manuscrits araméens tiennent en une seule famille et les manuscrits grecs en sept. Que signifie cette différence ? Pour traduire du grec vers l’araméen, les traducteurs supposés auraient dû consulter les divers manuscrits grecs, puisque le texte araméen ne correspond à aucune de ces sept familles en particulier. C’est évidemment impossible. Tout esprit rationnel sans a priori comprendra que les traductions se sont faites dans l’autre sens.  Et si l’on commence à comparer les contenus…

__ Prenons un exemple simple, quoique l’exposé en soit un peu technique : l’apparition à Pierre au tombeau vide. Le texte araméen de Lc 24,12 ainsi que les vieilles traditions orientales (y compris grecques !) indiquent clairement que Pierre eut une courte apparition du Ressuscité quand il précéda Jean à l’intérieur du tombeau. Mais les manuscrits grecs ne le disent pas, ce qui explique sans doute pourquoi l’Occident a fini par oublier cette apparition. L’étude montre que des traducteurs ou des copistes grecs ont malheureusement inversé deux mots clefs, et que cela fait disparaître le sens de la phrase.

__ De plus, en comparant les versets Luc 24,12 et Actes 10,17 , on constate que deux expressions totalement différentes en grec correspondent à une même expression en araméen. C’est clairement impossible s’il s’agit de traductions du grec vers l’araméen ; donc, nécessairement, l’original est en araméen et il a été traduit de deux manières différentes en grec.

__ Ceci suffit à établir que saint Luc a composé son évangile en araméen (oralement, puis il l’a mis par écrit). Et si l’on continue les comparaisons systématiques, il n’est pas difficile d’arriver à la même conclusion pour les autres évangiles (et même pour le reste du Nouveau Testament) … conformément à ce que les Pères de l’Eglise ont toujours dit, ainsi que la totalité des Eglises de l’Orient. Les seuls textes que le Magistère de l’Eglise ait jamais défini comme référence sont la Vulgate pour l’Eglise latine et la Pešitta (araméenne) pour les Orientaux chaldéens. Au reste, hormis celui qu’utilisent les Grecs Orthodoxes et qui a été définitivement fixé au VIe siècle, un « texte grec » de référence est une pure fiction, c’est un produit européen récent, fruit du travail de Nestlé-Alland et continuateurs.

__ Il est temps que les responsables de l’Eglise latine sortent de l’orbite de l’exégèse allemande, enfermée dans les choix arbitraires qu’elle a faits il y a trois siècles.

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4 thoughts on “L’héritage de l’exégèse allemande du 18e siècle

  • 14 décembre 2019 at 17 h 15 min
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    Un exemple de comparaison : Jean 21, 15-17.
    On connaît ces versets : par trois fois, le Ressuscité dit à Pierre : Fais paître mes … [à compléter].
    Cela n’a pas beaucoup de sens en grec et dans les traductions habituelles. Pourquoi se répéter ?

    Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit :

    Pais mes agneaux ! : (ܐܡܪܝ ᵓemray en araméen) il s’agit des catéchumènes et des nouveaux baptisés.
    Pais mes moutons ! : (ܥܪܒܝ ᶜerbay en araméen) ce sont les chrétiens adultes.
    Pais mes brebis portantes ! : (ܢܩܘܬܝ nəqawāṯ en araméen) ce sont tous ceux qui font naître de nouveaux chrétiens, les missionnaires, les maîtresses de maison qui accueillent les petits du royaume, les diacres, les prêtres et les évêques qui donnent les sacrements.

    Il y a trois mots en araméen, seulement deux en grec (arnia, agneaux et probata, moutons ou brebis), ce qui enlève aux traductions basées sur le grec la plénitude de leur sens.

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  • 14 décembre 2019 at 20 h 29 min
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    Ce sujet devrait faire l’objet d’un livre au titre explicite, facilement retrouvable sur les moteurs de recherche, du genre « La langue d’origine des Évangiles » ou « La prétendue origine grecque des textes évangéliques ».

    Ce livre reprendrait de façon exhaustive et précise tous les arguments établissant que le grec ne peut être la langue d’origine, que les premiers textes étaient araméens (et oraux), que le grec a été mis en avant par les allemands, d’abord sous influence protestante pour critiquer le catholicisme qui se base sur le latin puis sous influence athée pour démontrer que les récits sont « imaginaires » et des fabulations collectives (et également sous l’influence d’un certain antisémitisme qui a voulu aryanisé le christianisme)…

    Il faut absolument casser cette théorie de l’origine grecque et rétablir les faits, via une grande thèse universitaire pour le monde savant et des livres de vulgarisation pour le grand public.

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  • 18 janvier 2020 at 10 h 00 min
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    merci merci merci je suis heureux à mon âge 83 ans et après 70 années d’études jésuites et chrétiennes par l’église assyro chaldéenne d’IRAK de trouver des frères penseurs ouverts hors du latin souvent misérable et racoleur et de puiser dans le johanisme du 1er siècle les essentiels d’un nouveau souffle et nouvelle étude théologique si nécessaire et attendue. votre dévoué JLR ou chrysostome . ;chez les assyro chaldéens. cordialement vôtre + Chrysostome

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  • 11 février 2020 at 1 h 23 min
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    Les recherches convergent vers une certitude d’un premier texte en araméen. Julien a donc raison: Ce fait devrait être objet de communications urbi et orbi, en commençant par mettre au travail quelques chercheurs patentés pour établir une thèse d’Etat dans les principaux pays chrétiens. A l’heure où d’autres religions voient leurs fondements historiques s’émietter sous le scalpel de l’exégèse, de la recherche historique et de l’archéologie, il est temps de montrer que l’inverse se produit avec la chrétienté. Si c’est avant tout un devoir impératif d’honnêteté intellectuelle et de respect vis à vis de Celui qui est venu nous apporter la Rédemption, c’est aussi un des chemins pour consolider une foi qui remplira peut-être de nouveau les églises de France.

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