Une spiritualité chrétienne pour l’écologie

Quelle spiritualité chrétienne pour l’écologie ?

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Une injuste mise en accusation du judéo-christianisme

_ Il est injuste d’accuser le judéo-christianisme de ne pas respecter la terre à cause de la phrase « soumettez la terre » (Gn 1, 28).

_ Il nous faut être honnête et observer ce que dit vraiment le texte de la Genèse : « Dieu dit : “Faisons l’homme [« Adam » de la racine « dam », le sang] à notre image, comme notre ressemblance [du verbe « damah », ressembler, être consanguin], et qu’ils dominent [verbe au pluriel : Adam, c’est tout le genre humain] sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre” » (Gn 1, 27-28). L’homme, par son intelligence-volonté, doit avoir part au gouvernement du monde, il domine sur les animaux, ce qui le fait ressembler à Dieu dans sa providence et ce qui établit une relation Père-fils entre Dieu et l’homme.

_ Par son travail, il imite Dieu, il est donc en danger de s’identifier à Dieu ; c’est de ce danger que la clôture du jardin de la Genèse le protège (Gn 2, 8), en rappelant la limite, la distinction. De plus, la Genèse demande de « garder et de cultiver la terre » (Gn 2, 15). Dieu demande que l’homme contemple la nature, en essayant d’en comprendre l’harmonie et les bienfaits, pour en tirer parti en la respectant. Il demande aussi de travailler à la manière d’un bon fils dans la maison de son Père. La Genèse évoque aussi la perspective du repos et du culte divin le 7° jour ; l’homme ne doit pas épuiser ni sa santé ni sa terre, il est fait pour la rencontre avec son Créateur, et aussi pour la rencontre avec les autres.

_ Les violences faites à la nature commencent avec l’abandon du « jour du Seigneur », souvent au nom de la rentabilité, c’est-à-dire au nom de l’argent placé au-dessus de Dieu… Les violences continuent avec la prétention selon laquelle seule compte la création produite par l’homme, jusqu’à voir en l’homme son propre créateur.

Une vraie lacune de la théologie latine

_ Ceci étant dit, il est vrai qu’il y a dans le christianisme occidental un problème. _

_ Le problème ne vient pas de Gn 1, 28 mais d’abord d’un oubli, ce qu’on peut résumer ainsi.

_ Le « salut du monde » a été opéré par Jésus, mais il doit être reçu. « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22) dit le Ressuscité. Or une partie du monde a rejeté l’annonce du salut. Se manifestent alors très tôt des « antichrists » ; et, à la fin des temps, « l’Antichrist » unique se manifestera. L’Eglise attend rien de moins que le retour de Jésus dans « la gloire » (et non pas corporellement) pour anéantir l’Antichrist et son pouvoir (2Th 2,8). Car Jésus reviendra pour une « restauration » et une « régénération » (Mt 19, 28 ; Ac 3, 21), accomplissant le règne de Dieu « sur la terre comme au ciel » (Mt 6,10), avant de « remettre » son royaume au Père (1Co 15, 22-28). Il reviendra donc dans la gloire pour le salut de ceux qui l’attendent (He 9, 28). Ensuite, en sa présence spirituelle et glorieuse, ainsi que celle des saints qui l’accompagneront, ceux qui seront restés sur terre pourront s’organiser en formant ce que saint Irénée appelle le « royaume des justes ». Ce Royaume, dont la durée permettra l’accomplissement des promesses, sera un « prélude de l’incorruptibilité, royaume par lequel ceux qui en auront été jugés dignes s’accoutumeront peu à peu à saisir Dieu », explique le saint Evêque et martyr de Lyon[1]. Oublier tout cela conduit à dévaloriser le monde.

_ C’est surtout l’augustinisme (qu’on connaît principalement comme moralisme) qui est responsable de cet oubli. A la fin de ce temps, Jésus viendrait pour assister à une fin du monde imaginée en destruction finale ‒ le monde livré au Mal n’ayant d’ailleurs jamais servi que de décor, de sorte que les âmes méritantes gagnent (péniblement) sur terre le Paradis d’après leur mort (voir « le tournant de saint Augustin » dans mon livre « La Venue glorieuse du Christ, véritable espérance pour le monde »[2]). Autant détruire le monde tout de suite ! Faute d’espérance pour le monde, l’église latine s’est ainsi repliée sur une espérance individualiste.[3]

_ Aussi, une certaine spiritualité chrétienne actuelle de l’écologie semble « réapprendre » de non-chrétiens les notions de salut du monde (« sauver la planète ») ou de réconciliation (« se réconcilier avec la nature ») : curieux effet boomerang ! Tout se passe comme si une idée chrétienne avait été oubliée par les chrétiens occidentaux et reprise par d’autres. Jusqu’où les chrétiens peuvent-ils se reconnaître dans l’idée de « sauver la planète » ou de « se réconcilier avec la nature » ?

Ecologie : un lieu de collaboration entre chrétiens et non-chrétiens ?

_ Pouvons-nous préparer le salut de Dieu pour la terre ? Oui, comme le dit Benoît XVI : « Nous pouvons nous ouvrir nous-mêmes, ainsi que le monde, à l’entrée de Dieu… »[4].

_ A l’ONU, il précisait concrètement :
« Il est par ailleurs impératif que les autorités compétentes entreprennent tous les efforts nécessaires afin que les coûts économiques et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles communes soient établis de façon transparente et soient entièrement supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou par les générations futures: la protection de l’environnement, des ressources et du climat demande que tous les responsables internationaux agissent ensemble et démontrent leur résolution à travailler honnêtement, dans le respect de la loi et de la solidarité à l’égard des régions les plus faibles de la planète »[5].

_ Le Pape souligne deux choses : 1° la cupidité est allée jusqu’à oblitérer l’avenir des générations futures ; 2° le Pape n’envisage nullement la nécessité d’un gouvernement mondial mais d’une purification des grands acteurs de ce monde en vue d’une collaboration honnête, favorisée par la diversité des intérêts. Une telle honnêteté n’a aucune chance de qualifier un super-pouvoir mondial poursuivant son seul intérêt et concentrant tous les pouvoirs (financiers, policiers, médiatiques, etc.).

_ L’intérêt doit toujours être davantage purifié et Jésus révèle que tout homme est capable de « faire le bien », et que, ce faisant, il vient à la lumière (Jn 3, 21). Ceci se verra particulièrement lors de la Venue glorieuse du Christ. Dans les temps très particuliers que nous vivons, il est donc très opportun que se réunissent les hommes de bonne volonté qui ont le souci des autres et des générations futures[6].

_ Cela est très concret et cela concerne tous les domaines :
— agriculture : vivifier les sols pour produire une alimentation saine
— économie : organiser les échanges avec des monnaies qui ne reposent pas sur des principes d’endettement
— énergies : trouver des solutions propres
— éducation : mettre au point des pédagogies pertinentes
— culture : préparer des œuvres d’art à la gloire de Dieu… Etc.

_ Cependant, si elle est trop pauvre, la spiritualité écologique chrétienne est en danger.

_ Le danger vient du fait que la vérité sur l’Antichrist n’est plus enseignée. A la suite de Teilhard de Chardin (en réaction contre l’augustinisme), certains clercs ont imaginé une évolution quasi organique du monde vers des lendemains toujours meilleurs. Donc pourquoi s’inquiéter ? Au contraire, le Nouveau Testament évoque très clairement la mise en place destructrice des conditions de la manifestation de l’Antichrist. Nous pouvons certes en limiter ses nuisances, indique-t-il, mais seule la Venue glorieuse du Christ pourra l’anéantir.

_ De là sans doute vient le malaise de certains chrétiens (plutôt de « gauche »), qui ont perçu la dimension terrestre de cette bataille (au sens social et aussi écologique) et s’y engagent généreusement. Cependant, ils ne voient pas sa dimension eschatologique (impliquant lui-même le monde angélique et satanique). En cela, ils sont trompés par une conception de « l’ouverture de l’Eglise au monde » qui imagine une ouverture autre qu’aux hommes concrets. L’ouverture aux autres ne peut signifier l’approbation de pratiques ou de systèmes pervers. Le monde est dominé par un certain Esprit, mais ce n’est pas l’Esprit Saint, nous dit Jésus. Tous les hommes ont été créés à l’image de Dieu, mais cette « image de Dieu » a été très abîmée par le péché. Et quand on invoque les perspectives interreligieuses comme modèles « d’ouverture », il faut réaliser l’impasse : on ne peut plus trouver dans les systèmes religieux actuellement dominants en ce monde quoi que ce soit des « préparations à l’Evangile » qui pouvaient exister dans les cultes ou sagesses pré-chrétiennes ; ceux-ci ne subsistent plus nulle part. A part peut-être en l’une ou l’autre tribu amazonienne encore coupée de tout contact avec l’extérieur, le monde dans lequel nous vivons est totalement imprégné de pensée post-chrétienne (et aussi heureusement d’un peu de pensée chrétienne).

_ De là vient sans doute le malaise d’autres chrétiens (plutôt « de droite ») qui perçoivent dans toute ouverture une trahison et une mise en danger du peuple chrétien. C’est que l’ouverture aux hommes concrets n’est jamais facile, surtout si l’on ne s’appuie que sur des repère trop étroits, c’est-à-dire moraux ou dogmatiques, en oubliant le fait que le grand repère est le sens révélé de l’histoire. Ce sens porte une immense espérance : tous ceux qui, avec les vrais chrétiens, auront refusé la corruption de l’Antichrist règneront avec le Christ (Ap 19, 4).

Françoise Breynaert

__________________________
[1] Saint Irénée, Contre les hérésies, V, 32, 1
[2] La Venue glorieuse du Christ. Véritable espérance pour le monde, Paris, éditions du Jubilé (octobre 2016)
[3] On pourrait dire encore qu’une erreur de l’augustinisme a été de confondre le jugement de l’Antichrist (qui est une bonne nouvelle, une délivrance du monde par la Venue glorieuse) et le jugement des vivants et des morts (une expression du Credo en rapport avec l’Eternité).
[4] BENOIT XVI, Lettre encyclique Spe Salvi § 35.
[5] Benoît XVI, Caritas in veritate § 50 Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, New York, 18 avril 2008; DC 105 (2008) pp. 533-537.
[6] Evitons les expressions « développement durable » ou « écologie intégrale » utilisées par certains groupes mondialistes pour justifier des projets de dépeuplements massifs.

La Venue glorieuse du Christ. Véritable espérance pour le monde, Paris, éditions du Jubilé (octobre 2016)

 

et vidéos : https://youtu.be/L-wgdzT73vc ainsi que https://youtu.be/L7pjEC1Q0XQ et sur Teilhard de Chardin : https://youtu.be/i4kztnhgc5w.

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One thought on “Une spiritualité chrétienne pour l’écologie

  • 1 juillet 2020 at 11 h 15 min
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    Merci dans la Paix. Et bonne continuation. Je vais lire votre livre dès que possible.

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