Résultats des recherches contemporaines sur le Coran

 Kropp Manffred
Results of contemporary research on the Qur’ân. The question of a historical-critical text of the Qur’ân, Orient-Institut Beirut/ Würzburg, Ergon Verlag, 2007.

Il s’agit des actes partiels d’un congrès qui s’est tenu à l’université de Mayence du 8 au 13 septembre 2002. Dans ce volume qui réunit huit contributions substantielles, on ne trouve pas de révélations extraordinaires mais certains éclairages intéressants ou certains questionnements inattendus. Nous ne ferons ici que rendre compte d’une seule de ces contributions (d’autres données seront disponibles plus tard sur notre site internet) : celle de François Déroche, le spécialiste des manuscrits arabes de la BN, intitulée Beauté et efficacité : l’écriture arabe au service de la révélation [avec un petit « r »] .

Derrière ce titre apparemment très consensuel surgit un questionnement qui l’est beaucoup moins. Le diacritisme est un ensemble de signes qui, en arabe, permet de distinguer nombre de consonnes les unes des autres, ainsi que leur redoublement. On imagine la difficulté de lire un texte qui en serait dépourvu – ainsi que de voyelles, même si elles jouent un rôle mineur, permettant de savoir par exemple si l’on est devant une forme active ou passive. Le problème soulevé ici est le suivant : on a longtemps imaginé et on continue d’enseigner que les signes diacritiques ont été inventés postérieurement au Coran. Ils auraient été alors ajoutés peu à peu, dans la mesure où les incertitudes s’accumulaient dans la transmission orale et qu’une mise par écrit plus rigoureuse s’imposait. On part en effet du récit islamique de la « révélation » : les déclamations du « prophète » Muhammad avaient été apprises par cœur et vaguement notées sur des supports hétéroclites, des omoplates de chameau, des pierres, etc. mais jamais ni sur papier ni sur parchemin (ce qui est vraiment bizarre), mais avec le temps et la diminution de la mémoire, il avait fallu apporter des précisions à la mise par écrit. On aurait ainsi eu jusqu’à sept lectures possibles du texte qui, d’ailleurs (!) aurait eu le plus grand mal à être « collecté », au point que ?Uthmân le premier puis d’autres califes ensuite auraient fait disparaître tous les types de « corans » non « conformes ».

Voilà ce qui ressort des traditions islamiques et du discours islamologique qui les interprète. Ce récit est bourré d’invraisemblances. Pour commencer, la mémoire est extrêmement fiable dans les cultures orales. S’il y a eu des difficultés à lire les mises par écrit – qui sont en réalité simplement des aide-mémoire –, c’est parce que leur texte n’était pas ou guère connu. Et évidemment pas parce qu’il avait été noté sur des supports hétéroclites. S’il était disparate et dispersé, c’était pour une autre raison, que la légende islamique cache sous l’invention des invraisemblables supports (omoplates de chameau, pierres, etc.) : l’imagination est subjuguée par le détail et ne voit plus l’artifice que recèle l’explication.

Une autre raison impérieuse oblige à remettre en cause cette « explication » légendaire : le diacritisme n’est pas une invention du 8e siècle, il existait déjà avant Muhammad. Si le texte est sacré, le soin le plus grand aurait dû être apporté à sa conservation (c’est ce que le titre de la contribution entend sous le mot d’efficacité). Or, explique François Déroche, les manuscrits les plus anciens du Coran (qui datent de la fin du 7e siècle ou plutôt du début du 8e) sont écrits SANS aucun signe diacritique, ce qui les rend relativement illisibles. Et alors même que de tels signes apparaissent, de nombreuses copies postérieures continuent à ne pas en employer ;

“En fait, la comparaison entre différents fragments, voire entre différentes mains – quand plusieurs copistes ont uni leurs efforts pour transcrire le Coran – souligne le caractère extrêmement personnel de la ponctuation [diacritique] ; chacun met des points là où cela lui semble bon” (p.23).

Dans le cadre du récit islamique des origines de l’Islam, aucune explication sensée ne peut rendre compte de ces apparentes aberrations. Alors ?

Sortons maintenant de la légende pour envisager les choses sous un autre angle de vue, celui qu’ouvre l’étude Le messie et son prophète. Supposons que le but recherché à partir de ?Uthman ait été d’avoir un texte à opposer aux juifs et aux chrétiens, et que les seuls matériaux dont ce Calife disposait étaient les aide-mémoire (plausiblement sans diacritisme) laissés en arabe par les enseignants judéo-nazaréens et datant de l’époque de Muhammad ou même d’avant lui. Ces aide-mémoire ont servi, certes, mais leur contenu n’était guère connu. Du reste, l’auteur de la sourate 39 (versets 27-28) se plaint de ce que les Arabes ne font pas d’effort pour mémoriser (encore parle-t-il là du lectionnaire traduit en arabe). Quant à lire ces aide-mémoire, le manque de diacritisme conduisait à le faire selon des lectures divergentes. Mais le premier sujet de discorde était évidemment le choix de tel de ces textes plutôt que tel autre. Le temps pressant, on en tira au plus vite un recueil – en fait, on en tira justement plusieurs qui entrèrent en concurrence, comme le rapportent les traditions islamiques – en recopiant un choix assez arbitraire de ces aide-mémoire dont le contenu, connu grosso modo, semblait aller dans le sens de ce qu’on attendait : constituer quelque chose d’opposable au livre des juifs et des chrétiens et magnifier l’élection par Dieu de la nation arabe. Les copistes firent leur travail sans comprendre (ce qui est souvent le cas, à vrai dire). Et la tradition s’installera de copier sans le diacritisme, pourtant nécessaire à la lecture.

Comme on peut s’en douter, les textes qui résultèrent de ces « choix » trop rapides ne répondaient que moyennement aux besoins, et ils ne résistaient pas à la critique des juifs et des chrétiens (il leur fut interdit de lire le Coran), et pas davantage à celle des partisans (ou des opposants) des Califes. C’est pourquoi, des interventions multiples et successives sur le texte s’avérèrent nécessaires, ce qui conduisit l’autorité politique à imposer plusieurs fois de nouvelles versions, et à brûler les « corans » obsolètes, sous peine de mort pour les récalcitrants. À leur manière, les traditions islamiques évoquent ces éliminations successives.

Le Coran n’est pas ce que l’on croit. Une autre recension de l’ouvrage par Anne-Sylvie Boisliveau.

Également au sujet de l’exégèse coranique :
l’article qui a présenté au public français les travaux de Christoph Luxenberg est accessible ici.

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