Recension : sur le voile de Manopello

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Jésus-Christ, Agneau et Beau pasteur, par
Blandina Paschalis-Schlömer, éditions LIBRIM, 2015

A Manoppello, dans les Abruzzes, à deux cents kilomètres de Rome, se trouve un couvent de Capucins. Depuis quatre cent ans, on y expose dans l’église une relique, un portrait du Christ comparable à celui du Linceul de Turin. Ce portrait de Jésus est comme imprimé sur un tissu rarissime, le byssus [1].

En 1979, une moniale qui nourrit une dévotion particulière pour le Linceul de Turin découvre incidemment un article de presse qui fait connaître la relique de Manoppello, et ce fait singulier pour ne pas dire extraordinaire de la sainte Face que, dans certaines conditions, on peut voir sur ce tissu rare. Elle examine l’article, la photo, et mue par la conviction de l’existence d’un lien entre les reliques, elle constitue un dossier. Cela lui prend quelques années…
En 1983, la prieure envoie ce dossier au professeur Bults, qui le fait suivre à un historien de l’art à Rome, intéressé par ces questions, le professeur Heinrich Pfeiffer. La première réponse est décourageante : aucun rapport avec le Linceul de Turin. Elle s’obstine, et forte de son expérience d’iconographe, elle se met à reproduire et à comparer les deux icônes en les superposant. La providence aidant en la personne du recteur de Maria Frieden qui lui vient en aide, une correspondance s’établit entre la France et l’Allemagne. Cette fois, le professeur Pfeiffer est convaincu.

Or, le fait prodigieux qui apparait en superposant les deux reliques, c’est que c’est le même visage que celui du linceul de Turin.

Le livre Jésus-Christ Agneau et beau Pasteur est la restitution de ce travail patient, mené par l’auteur, une moniale, pendant plus de vingt ans, sur la nature et le statut de cette relique. Il faut convertir une intuition qu’on peut qualifier de mystique, en une hypothèse scientifique, et l’avaliser expérimentalement.

Deux types de vérifications vont être entreprises : les analyses médico-légales et celles qui sont du ressort de l’histoire de l’art.
Jusqu’au XIVème siècle, les artistes ont travaillé d’après un modèle qui correspond à l’image manopello_voile_-_linceul_turin_visage_superposefigurée sur le Voile, et qui font partie des « documents non écrits » de la foi chrétienne, dont l’Occident a lentement mais sûrement perdu la mémoire. On admet que le Linceul a servi de modèle à toutes les icônes du Christ, avec les inévitables transformations que l’art impose ou implique. L’intuition de sœur Blandina, c’est que si on admet que le linceul de Turin a nourri les représentations iconographiques à travers les âges, et que ce Linceul est lié au voile de Manoppello, l’histoire de l’art doit contribuer à établir le lien entre les deux voiles. Il y aurait alors deux sources d’images authentiques du Christ.
Sœur Blandina choisit six icônes représentatives de l’art chrétien à travers les siècles  (le Ressuscité de Vyssi Brod, 1350 ;  l’image d’Edesse de Gênes et l’image du Christ du Vatican ; la sainte Face de Novgorod, datant du XIIème siècle (Galerie Trétiakov à Moscou) ; le Christ miséricordieux, en date du XIIème siècle, Italie du Sud, au Staatmuseum de Berlin ; le Christ maître du monde, VIème siècle, monastère sainte Catherine, au Sinaï ; Le Christ Pantocrator  dans l’abside de l’Eglise sainte Pudentienne à Rome, IVème siècle).

Sans doute faudrait-il des recherches plus approfondies pour cette question d’histoire de l’art, mais la perspective ouverte est immense, et magnifique.

L’analyse sans doute la plus convaincante quoiqu’un peu aride, c’est l’analyse «physiognomonique », à partir de laquelle, mensurations précises à l’appui, sous divers angles, divers éclairages (par transparence, sur fond opaque), à l’endroit et à l’envers, (comme pour une photo, le négatif et l’endroit), sœur Blandina photographie, compare, mesure, superpose,  tout ou partie de la relique, (par exemple, l’œil gauche blessé) pour établir que c’est bien le même visage. Chaque fois, quels que soient l’angle, la lumière, les deux visages concordent. L’ouvrage présente une riche moisson de photos à l’appui.

A tout cela s’ajoute le dossier technique de ce tissu qu’on appelle le byssus, et surtout celui des rituels funéraires. Elle s’appuie pour ce dernier dossier sur les recherches de Paul Badde « six au moins des linges ayant servi à l’ensevelissement de Jésus sont parvenus jusqu’à nous » (p. 86).
Une note particulièrement intéressante (p. 92) raconte comment Marie garda précieusement le Voile sous sa protection et celle de Jean, comment il passa à l’apôtre Jude qui l’emmena avec lui à Edesse. Après son martyre, il passa entre les mains de Pierre et fut envoyé à Rome. Tout le parcours du voile est ainsi retracé, itinéraire occidental comme itinéraire oriental. C’est une pièce précieuse au dossier de la transmission orale en particulier et de la transmission d’une manière générale, cette transmission dont l’Occident manifeste l’éclatante faillite et la dévastatrice défaillance, voire absence.

Le seul reproche qu’on puisse faire concernant cette note de bas de page, c’est qu’elle méritait à elle seule tout un chapitre, avec quelques références à l’appui.

L’ouvrage comporte quelques faiblesses de construction, inévitables compte tenu de la nature du sujet, et ici et là, l’expression d’une foi profonde qui peut embarrasser le lecteur et qui parasite parfois le patient et difficile exposé d’une recherche qui a mobilisée de toute évidence toute une existence.
C’est un ouvrage qui, dans un monde incrédule, non seulement fournit, preuves à l’appui, une pièce majeure au dossier de l’existence historique du Seigneur, mais qui ouvre aussi des perspectives de recherche dans le domaine de l’art et de l’iconographie.
Surtout, il atteste de ce fait inouï qui s’appelle le « miracle » :  à travers la trace matérielle de la sainte Face, qui défie le temps, la chimie, et qui continue obstinément de se proposer à la foi des hommes, il invite les chrétiens à la dévotion à la sainte Face dont la jeune Thérèse de Lisieux avait compris toute l’importance théologique en l’associant à son nom de carmélite.

Car, au fond, que le sang et la sueur de la passion du Dieu fait homme s’imprègne pour toujours et à jamais dans un linge, pour tous ceux qui admettent l’Incarnation, quoi de moins difficile à imaginer ?

Il faut donc saluer le courage des éditions LIBRIM et de Mme Agnès Lozier, l’éditrice, pour ce livre qui s’adresse à l’alliance de la foi, de la raison et de l’expérience sensible.

Marion Duvauchel
Voir aussi https://gloria.tv/video/ZdDCFYdAu6kr4D6L6hFQXkHwq

manopello_voile_comparaison_linceul_turin_visageA – le visage du Saint Suaire de Turin;
B – superposition du visage du Voile de Manoppello sur le visage du Saint Suaire;
C – le visage du Voile de Manoppello (Soeur Blandina Paschalis Schlömer, Trappistine allemande, pharmacienne, iconographe, qui vit aujourd’hui en ermite à Manopello)

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[1] Dans la traduction à partir de l’araméen de la « perle » du pauvre et du riche (Luc 16,19), par le père Frédéric Guigain, le riche est vêtu de « byssus ܒܘܨܐ et de pourpre » (p.178 – dans les traductions grecques ou anciennes latines, on a également « byssos », mais les traductions modernes indiquent « lin fin », comme si l’auditeur ou lecteur était incapable de savoir ce qu’est un tissu en byssus). Autrement dit, il porte des vêtements de grand prix, mais aussi d’une grande légèreté, confort inappréciable dans un pays où il faut chaud.

Ici, une représentation par le peintre Hans Memling de la tradition du voile de « Véronique » :
hans-memling-voile-veronique

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2 thoughts on “Recension : sur le voile de Manopello

  • 13 novembre 2016 at 19 h 22 min
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    j’essaye de comprendre quelque chose sur la transmission orale des évangiles. j’ai acheter les 2 livres de Pierre Perrier « evangiles de l’oral à l’écrit » et « colliers évangéliques ». j’ai du mal à comprendre comment on retrouve les traces des perles dans le texte

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