Pompéi-Herculanum, vestiges chrétiens avant 79

– mise à jour et complémentation /sept. 2017 –

Vestiges chrétiens à Pompéi et Herculanum
(donc antérieurs à l’an 79, éruption du Vésuve)

Le témoignage le plus simple se trouve à Herculanum, dans l’une des plus belles et vastes demeures de l’antique cité italienne.

La croix de Herculanum

Il s’agit de la villa dite “du Bicentenaire” (nommée ainsi car elle fut excavée deux siècles près la découverte des vestiges d’Herculanum, en 1738) ; comme sa voisine Pompéi, elle avait été ensevelie en l’an 79 par les cendres et la lave surgies du Vésuve. Les fouilles ont commencé en 1879 mais le quartier de la ville où se trouve la demeure n’a été mis au jour qu’en 1938. C’est alors que cette croix a été découverte puis reproduite de nombreuses fois dans les catalogues ou sur des cartes postales.

Une réalité méconnue

Les clichés ci-après proviennent de photos de la pièce au moment de sa découverte en 1938 (sites italiens ici et ) et d’une photo ancienne, après restauration de la pièce, que M.-C. Ceruti a réussi à trouver chez un particulier habitant près du site (cf. CERUTI Marie-Christine, Les Nouvelles de l’Association Jean Carmignac, n° 30, p.11-12) – sur le web, d’autres sites mentionnent l’existence de la croix sans la montrer, et parfois même pour en nier son caractère chrétien en fonction d’un postulat : la foi chrétienne doit être une fabrication tardive. Cependant, le documentaire américain de Julie Walker (ARTE, 18 avril 2010, 20 h45 : HERCULANUM) montre une brève image de la croix. À Herculanum même, la maison est inaccessible (cf. le dernier cliché ci-après) – il semble d’ailleurs qu’on ne travaille guère à son entretien.

Voici donc la pièce, lors de sa découverte le 28 octobre 1938, et après sa restauration :

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Autour de la croix, les trous de clous et la zone plus claire suggèrent la présence de portes en bois léger ou au moins d’un encadrement portant un voile, afin de dissimuler aux regards la croix fixée ou gravée sur le mur, ce qui est une manière d’honorer un mystère, et peut-être aussi d’éviter des problèmes au cas où des gens non familiers viendraient à passer par là.

La police romaine ne procédait pas à des perquisitions, mais les accusations de proches étaient à craindre en ces années qui suivaient l’incendie de Rome [64] et la persécution déclenchée par l’Empereur Néron. Il semble d’ailleurs que la croix ait été retirée avant l’éruption de 79, sans doute pour ces raisons (cf. l’archéologue et directeur des fouilles à Pompéi et Herculanum Amédée Miauri dans son article Inventio Crucis, in Sapere, Éditions Ulrico Hoepli – Anno VI – Volume XI – n. 3/123, 1940)

L’armoire qui a subsisté en dessous, en bois dur, servait probablement de lieu où était gardée l’Ecriture Sainte (ou au moins un évangile) ; deux coupes-assiettes font penser à présenter une offrande, ou plus simplement à recevoir les pains bénis qui étaient donnés aux catéchumènes ainsi qu’à tous les croyants (cette coutume des origines a été conservées dans toutes les traditions orientales).

D’autres témoignages, à Pompéi cette fois

À Pompéi, d’autres symboles chrétiens ont été relevés (les détracteurs du signe en forme de croix à Herculanum les passent également sous silence) :

• une croix gravée en relief sur un mur (découverte en 1813-1814)
une inscription murale parlant de chrétiens (découverte en 1862)
• et deux exemplaires du fameux cryptage en palindrome appelé « carré magique » ou « carré Sator », basé sur l’association des lettres A-O (le même, mais datant du 2e siècle, a été trouvé à Budapest, et le 3e siècle nous en a laissé un en Angleterre et quatre sur l’Euphrate).

palindrome

L’un des deux exemplaires de ce carré apparaît gravé sur une colonne qui semble avoir été abattue lors du tremblement de terre de l’an 62 (l’inscription doit donc être antérieure à cette date). L’origine chrétienne de ce « carré » n’a été contestée que tardivement, et selon deux manières contradictoires entre elles. D’un côté, on a avancé que le rapport entre les lettres A et O serait fortuit ou inexistant car on veut le faire remonter au livre de l’Apocalypse [1], lequel est supposé avoir été écrit postérieurement (il s’agit là d’une double supposition erronée) ; de l’autre, on prétend que ce « carré » contiendrait des significations juives pré-chrétiennes.

Ces deux contestations sont basées sur la méconnaissance de la réalité chrétienne des origines. Le jeu entre la première lettre de l’alphabet grec (A) et la dernière (W) provient en fait d’un usage hébréo-chrétien primitif bien attesté, où la dernière lettre de l’alphabet hébraïque (qui est un T) joue le rôle de signe à la fois du Messie qui vient et du jour du Jugement (cf. Ezéchiel 9,4-6). Il était dit que Jésus le Messie est le Alif (א) et le Tau (écrit comme un + ou X en écriture cursive, signe qui sera transposé en grec par W) c’est-à-dire le début et la fin de l’Histoire. Une telle association de lettres a été retrouvée comme telle en Israël sur des ossuaires judéo-chrétiens du 1er siècle (mais on trouve plus souvent le X (ou +) tout seul. C’est avec ce soubassement judéo-chrétien que le « carré » s’est constitué en milieu latin par un concepteur chrétien latin ; quant à sa visée, elle est le cryptage d’un double “Pater noster”[2]. La probabilité mathématique d’une autre explication systématique est quasiment nulle, et, de fait, aucune autre hypothèse n’apparaît plausible[3].
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D’autres documents

Pour ce qui est de l’inscription murale découverte et reproduite en 1862 par Minervini et Kiessling, elle se trouve sur un mur de ce qu’on a appelé « l’auberge des Chrétiens » ; une partie de ce graffito fait au charbon n’est plus lisible aujourd’hui. En tout cas, le mot de « khristiano[s] » apparaît nettement et, selon Margherita Guarducci, la reproduction qui en a été soigneusement conservée doit être lue ainsi : « Bovios audit[t] Khristianos s[a]evos osores » c’est-à-dire « Bovios écoute les Chrétiens, cruels haineux »[4] – Bovios devant être un habitant de la maison, dont le graffito veut dénoncer la sympathie à l’égard des chrétiens que, dans le même temps, Tacite accusait d’être « pleins de haine contre le genre humain » (Annales, XV 44). Hier comme aujourd’hui, des gens sont toujours prêts à haïr ceux que le pouvoir leur suggère de traiter ainsi.
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Ces données et bien d’autres montrent qu’en l’espace d’une génération, la production hébréo-chrétienne a été à la mesure de la diffusion de la foi, depuis l’Espagne d’un côté jusqu’à la Chine de l’autre, c’est-à-dire telle que les textes du Nouveau Testament la laissent entrevoir.

 

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Maison du Bicentenaire / Atrium

 

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Maison du Bicentenaire / fresques

 

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Maison du Bicentenaire (cliché ancien)

 

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Sur la gauche : Maison du Bicentenaire (cliché plus récent)


[1] “Je suis l’Alpha et l’Oméga, le Premier et le Dernier, le commencement et la fin” (Ap 22,13 ; 1,8 ; 21,6).

[2] Cf. Archeologia n° 301, 2 juin 1994, p.45-52 et surtout le supplément au n° 37 (mars 2008) des Nouvelles de l’Association Jean Carmignac, éd. F.-X. de Guibert : Fayat Christian, Le carré Sator, une communication chrétienne cryptée du 1er siècle après J.-C.

[3] En jouant avec la place des lettres autour de la lettre N, on a essayé d’imaginer une vague allusion aux rites cultuels décrits par la Bible (mais le N est au centre de l’alphabet grec alors que c’est le L/? qui est au milieu des 23 lettres de l’alphabet hébreu). Le résultat est tellement ténu et peu significatif qu’il est impossible d’y voir, comme Nicolas Vinel le fait, un message pré-chrétien (qui, de plus, aurait été crypté d’une manière incompréhensible, donc « pythagoricienne » – cf. Villeneuve Estelle, La Bible dévoilée dans le carré sator, in Le Monde de la Bible, n° 175, janvier-février 2007, p.44-45). L’ignorance du christianisme des origines fait écrire beaucoup de bêtises.

[4] Il n’existe guère d’autre lecture possible de ce graffito, cf. Nouvelles de l’Association Jean Carmignac, n° 37 mars 2008, p.11-12.


 COMPLÉMENTS TIRÉS D’UN COMMENTAIRE

Plusieurs références dans les colonnes du Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie (DACL). Voici d’abord une pierre qui relève d’un courant anti-apostolique du type « gnostique »:
jaspe 2e siècle
Il faut se rappeler que durant les deux premiers siècles, le crucifiement – toujours en usage – n’est représenté que de manière symbolique à travers le signe de la croix (qui est en même temps et chronologiquement d’abord le signe du Messie qui vient pour le Jugement – le « T » [transposé en tau grec]) ; il arrive aussi que cette croix soit couverte de fleurs ou de pierres précieuses (DACL col. 3049). On trouve cependant des exceptions, figurant le Messie sur la croix, entouré de ses douze apôtres (en réalité, seul l’apôtre Jean était là quand il est mort) :
cachet 2e siècle
Un exemplaire d’un type semblable de cachet date du 3e siècle – il est plus parfaitement conservé et figure un agneau :
cachet 3e siècle

La croix est donc bien représentée dans sa réalité, mais avec sa signification théologique (présence des 12 apôtres –debouts!–, représentation de l’agneau). De qui étaient les lettres qui furent cachetées par de tels sceaux ? L’hypothèse la plus probable est qu’elles émanaient d’un Évêque, et on pense plus particulièrement au successeur de Pierre à Rome.
Ce qui est beaucoup plus courant, ce sont des évocations du signe de la croix. Le DACL donne pour exemples, toujours dans l’archéologie romaine, deux témoins datant de la moitié du 2e siècle, le premier provenant d’une catacombe :
Roufina 2e siècle
et
+++ E
Et ceci n’est qu’un aperçu de ce qu’on avait déjà trouvé au début du 20e siècle, spécialement en Italie et à Rome. D’autres lieux sont au moins aussi intéressants, mais il faut un peu chercher sur la toile, par exemple un graffito mis au jour par l’archéologue Bagatti à Nazareth (article et photos), p.11-13. Qui cherche trouve.
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En bibliothèque, on trouve facilement ce type de renseignement ayant trait aux témoignages archéologiques chrétiens des premiers siècles, par exemple dans le « Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie » (ou DACL, 1907-1953) ou dans d’autres études anciennes, dont la qualité et l’érudition sont généralement très supérieures aux études d’aujourd’hui (faites souvent sur la base de compilations de documents récents par des gens qui ne lisent ni le grec, ni le latin, et qui classent comme « judaïques » nombre de représentations hébréo-chrétiennes).
Sur le web, voir par exemple la bibliographie des notes de http://www.abbaye-saint-benoit.ch/martyrs/martyrs0001.htm ou les études de Bagatti. On trouve des références à des articles dans diverses langues, par exemple Tazelaar C. M. : Het christelijk cryptogram van Pompeii, Hermeneus 51, 1979, 296-299 (c’est-à-dire Le cryptogramme chrétien de Pompéi, revue Hermeneus).

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