Luc 16,1-12 : l’intendant malhonnête

guigain L’intendant malhonnête

ou

l’honnêteté de la miséricorde

(Luc 16, 1-12)

Une composition orale initiatique

La parabole de l’intendant malhonnête, suivie de son explication parénétique, forme un vrai joyau de théologie sapientielle, composée par le Seigneur rigoureusement selon les règles de l’art de l’initiation progressive, comme il se doit en sagesse orale. Malheureusement, le principe exclusif de la « référence unique » au texte grec en a irrémédiablement travesti le sens, au point de la rendre totalement incompréhensible pour des générations de lecteurs, et cela jusqu’à nos jours. Selon le texte communément admis, p.ex. dans nos traductions dites liturgiques, la parabole énonce effectivement une contradiction flagrante qui en fait un vrai casse-tête pour les fidèles : puisqu’on y raconte l’histoire d’un intendant qui, licencié par son patron pour malhonnêteté, se voit à la fin loué pour son habileté par ce même patron, après avoir trafiqué les chiffres. Ce n’est pas le grec comme tel qu’il faudrait incriminer, lequel somme toute a fait preuve, dans le cadre de ses potentialités sémantiques ordinaires, d’une parfaite fidélité au sens originel de la parabole ; mais bien plutôt l’éternel principe sacro-saint de la référence unique à la langue grecque en exégèse qui, non seulement a légitimé les incohérences les plus manifestes, mais surtout a jeté un discrédit définitif sur le texte araméen, au mépris des lumières que lui seul contenait. L’histoire de l’interprétation de la parabole de l’intendant malhonnête est emblématique des vicissitudes de la Peshitta sous l’empire de la théologie occidentale hellénisante. Aujourd’hui sa restauration s’avère indispensable, non tant pour réparer une injustice historique (comme tant d’autres) à l’égard de son authenticité, que pour parvenir à une intelligence renouvelée du message évangélique, en vertu de la clarté de sens qu’elle seule possède, transmettant la signification théologique des paroles du Seigneur dans l’expression qui a été forgée spécifiquement à son service.

Une telle restauration ne concerne pas une pure question de mot ou de syntaxe, mais encore la composition d’ensemble de la Bonne Nouvelle, au sujet de laquelle le texte grec ne contient pas la moindre indication, en accolant mécaniquement les péricopes les unes derrière les autres sans fournir une règle pour les découper ; ce qui ne va pas sans de graves contresens ou des décisions arbitraires. C’est ainsi que, dans le cas de la parabole de l’intendant malhonnête, l’explication parénétique qui lui fait suite est diversement délimitée selon les éditeurs ou les lectionnaires liturgiques ; et, lorsqu’elle l’est conformément à la découpe originelle, rien ne vient en justifier la rédaction comme un tout, si bien qu’à la confusion créée dans les esprits par la contradiction susdite vient s’ajouter celle de se trouver devant un assemblage accidentel de sentences du Seigneur, dont on a tout lieu de douter de l’authenticité, sinon de la pertinence.

Tel n’est pas le cas des textes araméens lesquels parsèment l’enchaînement entier des récitatifs d’astérisques et de pointillés, et fournissent par là de précieuses indications sur la découpe non seulement liturgique, mais encore logique, mnémotechnique et catéchétique de ceux-ci. Aussi l’encadrement strict entre deux astérisques de la parabole de l’intendant malhonnête et de son explication parénétique, selon leur délimitation en un unique ensemble indiquée ci-dessus dans le titre, dénote-t-il une intention catéchétique précise de la part du Seigneur : elle répond à sa pédagogie orale traditionnelle d’approfondissement progressif du sens de la Parole, depuis le sens concret immédiat jusqu’au sens social et moral, et finalement au sens mystique, le tout résumé en mode sententiel. L’ensemble du récitatif constitue un parcours initiatique rigoureuseusement construit selon le dit de sagesse, où le sens se trouve multiplié à mesure que s’approfondit l’analogie des réalités morales et spirituelles avec l’exemple concret de départ. Le cheminement de la Parole dans le cœur de l’homme n’est plus alors seulement l’effet d’un déroulement logique, mais d’un itinéraire initiatique aux vérités de l’Au-delà inscrites secrètement dans le quotidien de la vie, et dont l’aboutissement n’est rien d’autre que l’accès définitif, au terme du pèlerinage terrestre, aux réalités eschatologiques déjà contemplées grâce à la Parole. Ainsi la juste compréhension de la parabole repose sur une intelligence parfaite de la règle analogique utilisée, puis de son application exacte selon les degrés initiatiques, afin d’en recueillir à la fin toute la richesse sapientielle en une sentence rythmée rigoureusement en terme d’oralité et dont la résonance ne finira jamais.

Mais, afin d’en exposer toutes les harmoniques, il convient d’abord de lever l’obstacle majeur à son intelligence introduit par la traduction grecque, et ainsi rétablir la structure originelle du récitatif.

F. G.

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