L'Espérance des Apôtres -2

L’Espérance des Apôtres 2/2

apôtres douze Ciel paru dans le Bulletin de l’AED-France, 2014/-2, p.4

___Les cultes anciens enfermaient le sens de l’éternité dans des cycles immuables à la durée variable. Mésopotamiens et Egyptiens avaient pourtant l’idée d’histoire, entendue comme durée et mesurable comme l’espace. Mais dans ces mentalités anciennes, rois et héros revêtent une consistance historique et se présentent comme rattrapés tôt ou tard par leur destin. Les Grecs font apparaître une dimension supplémentaire : celle du tragique de l’existence, inscrite dans une fatalité souvent sanglante et liée au cosmos.

La Révélation au peuple hébreu a introduit une conviction nouvelle, celle d’un temps « vectorisé »: le monde a un commencement et il aura une fin. Cette idée de finalité est au fondement de l’espérance chrétienne, de même que celle qui veut que notre vie terrestre s’accomplisse ailleurs qu’ici-bas. On peut donc parler d’une double dimension de l’espérance chrétienne, celle qui concerne le destin de l’humanité – et elle s’est orientée vers le long terme dès le temps des Apôtres (voir i c i) –, et celle qui concerne la destinée personnelle. “L’attente de la Parousie [ou Venue glorieuse du Christ], explique André Feuillet[1], joue dans le christianisme primitif un rôle essentiel et se maintient d’un bout à l’autre du Nouveau Testament […] Elle n’est pas rejetée à l’arrière-plan ni même, à proprement parler, concurrencée par une autre perspective qui se fait jour de plus en plus nettement : celle d’une rencontre avec le Christ aussitôt après la mort”.

____Que ce soit l’une ou l’autre des dimensions de l’espérance chrétienne, ce qui est toujours central est la rencontre du Christ. Dans le mystère de sa mort, qu’on a appelé la « Descente aux shéol-enfers », le Christ va jusqu’à « évangéliser les morts » si l’on en croit saint Pierre (1P 4,5-6 qui éclaire Jn 5,25-29 et Ac 26,23)[2] – mystère approché expérimentalement par certains mystiques. Ces derniers nous aident à comprendre les images évangéliques de l’invitation (Mt 12,39-40 ; etc.), de la confrontation avec la Lumière qu’est Jésus (Jn 8,12) et qui agit comme un jugement (Jn 3,20-21 ; 5,22-24), et surtout celles du Berger et de la Porte par laquelle il faut accepter d’entrer (Jn 10,9). Jésus lui-même emploie prioritairement l’image d’un Juge quand il parle de sa Venue dans la gloire.

____À travers cette Venue doit s’initier l’appel à la gloire que saint Paul a médité spécialement dans sa lettre aux Romains (ch. 8) et qui devra toucher « tout ce qui a été fait par La Parole » (Jn 1,3). Mais une telle finalité disparaît de l’horizon de l’espérance chrétienne si elle n’est plus portée par une foi vivante ; alors des projets utopistes s’y substituent. Henri de Lubac a vu dans ce phénomène le fil conducteur de l’histoire de l’Occident depuis le moment où, au 12e siècle, un abbé calabrais, Joachim de Flore, se met à annoncer la venue d’un monde nouveau[3]. D’après l’historien Morghen[4], “le message de Joachim (~1130–1202) constitue vraiment la clef de voûte du passage du Moyen Age à la Renaissance” ; “l’attente de la fin des temps” est alors convertie en une autre attente, celle de “l’ère nouvelle” à bâtir. De Lubac montre que les systèmes totalitaires du 20e siècle constituent un aboutissement de cette attente dévoyée, comme semblent l’être les projets actuels de « nouvel ordre mondial ».

____Si plus personne ne croit aujourd’hui en une ère idéale à bâtir en vertu d’un « sens de l’histoire » postulé, en retrouve-t-on pour autant le « sens » réel, celui que la Révélation a apporté ? Pour celle-ci, les « derniers temps » ont commencé avec la Résurrection de Notre Seigneur – ils sont « derniers » par rapport aux précédents, ceux des longs siècles de la préparation du peuple hébreu –; il ne peut donc y avoir « d’ère nouvelle » avant la Venue glorieuse.

____Et quand le Nouveau Testament parle de temps ultimes, il évoque simplement les derniers des derniers, ces temps particuliers au cours desquels se manifestera l’anti-messie, celui qui, explique saint Paul, tentera de s’approprier tous les pouvoirs humains et de se faire adorer : Au sujet de la Venue de notre Seigneur Jésus Messie et de notre rassemblement auprès de lui, nous vous le demandons, frères : n’allez pas trop vite […] croire que le jour du Seigneur est arrivé […] si ne vient pas en premier l’apostasie, et qu’est dévoilé l’homme de l’impiété, le Fils de la perdition, etc.” (2Th 2,1-4). Paul met ainsi en garde contre tout messianisme hâtif et toute idée de monde nouveau à bâtir ; il précise encore : “Alors sera dévoilé l’Impie que le Seigneur Jésus détruira du souffle de sa bouche et anéantira par l’éclat de sa Venue” (2Th 2,8).

Ce réalisme de l’espérance chrétienne pour cette terre a soutenu les chrétiens et les pasteurs fidèles au milieu des tribulations et des persécutions qui n’ont pas manqué au long des siècles, ni en Occident ni en Orient. Il a éclairé leur travail en ce monde, inspiré par l’Evangile. Si précaires soient-ils, les fruits merveilleux qui ont ainsi vu le jour au cours de l’histoire n’en préfigurent pas moins la victoire à venir. Ce qui justifie toute la peine qu’on se donne ici-bas.


[1]  Feuillet André, Le problème de la Parousie, in Supplément au Dictionnaire de la Bible, t.6, 1960, col. 1412.

[2] La difficulté vient de la réduction des défunts que Jésus rencontre et « évangélise » aux seuls déjà sauvés ; car dans ce cas, à moins qu’il ne s’agisse de chrétiens (Jn 5,24), comment seraient-ils sauvés déjà ? Les nos 632 à 634 du Catéchisme de l’Eglise Catholique aident à sortir de cette impasse chronologique.

[3] Lubac Henri de, La postérité spirituelle de Joachim de Flore,  Paris-Namur, Lethielleux, 1978-81, 2 tomes.

[4] Cité par Massimo Borghesi, Joachim et ses fils, in 30 Jours – Trente Giorni, 1994 /3, p.58.

Père Edouard-Marie Gallez précédent 1/2 : eecho.fr/lesperance-des-apotres-2


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