Interview : la situation des Coptes, toujours précaire?

EEChO a interviewé Ramy Kamel, président de l’association des « Jeunes de Maspero pour le développement et les droits de l’homme ». Elle défend les droits de l’homme accréditée sous n° 9419/2013 et fondée par un groupe de jeunes qui furent membres d’une union fondée en 2011 « les Jeunes de Maspero ».
Ces derniers ont décidé de travailler dans ce domaine à travers une ONG à but non lucratif. L’association est actuellement membre du Forum des Minorités à l’ONU et s’intéresse particulièrement au dossier des minorités bien que ses portes soient ouvertes à tous les égyptiens. L’association adhère actuellement plus que 120 membres actifs, tous des bénévoles.

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Le Caire, Janvier 2018

EEChO : En tant qu’observateur, comment voyez-vous la situation des coptes en Egypte surtout en Haute Egypte après la chute du régime des Frères Musulmans ?

L’état des Coptes en Haute-Egypte est très compliqué vu que le plus grand conglomérat copte se situe là-bas, ce qui a toujours causé leur ciblage depuis l’ère de Moubarak. Et ceci n’a jamais été changé par le changement des régimes jusqu’à nos jours, c’est toujours la même misère.

EEChO : Après les derniers attentats, comment voyez-vous le danger de l’intégrisme ?

En fait, à nos yeux, le terrorisme n’est pas le premier danger mais plutôt la vision unilatérale du régime, le manque de diversité et le déploiement d’un discours religieux qui mènent à l’aggravation du terrorisme ; cela complique les choses et redouble les offensives contre les Coptes : d’un côté par le terrorisme et d’un autre côté par l’entourage.

EEChO : Que pensez-vous de la manière dont le régime gère ce dossier ?

Malheureusement le régime traite toujours le dossier copte en tant que dossier sécuritaire, sans trouver de solutions réelles aux crises. Personne n’aurait imaginé que 143 incidents allant de l’enlèvement au meurtre et autres agressions auraient lieu dans les six premiers mois du pouvoir d’Al-Sissi, et ça continue au même rythme ! Ces incidents se reproduisent avec la complicité tacite du régime, et sans tentative de résoudre ces problèmes dont la résolution relève pourtant totalement de ses prérogatives. Par exemple, il n’y a aucin gouverneur ou président d’université qui soit copte ; même le recrutement des professeurs assistants aux universités a fait l’objet d’une crise.

EEChO : Ne voyez-vous pas quand même une bonne volonté de la part du pouvoir politique pour la réforme, contrée par des obstacles détournant sa mise en œuvre ?

Si le régime avait l’intention de mettre en place une vraie réforme, celle-ci aurait dû se manifester dans les décrets de nomination ou dans les nombres des coptes admis au sein des Ecoles et instituts militaires et de police, mais la situation reste inchangée voire pire quand le régime désigne des fanatiques pour occuper des postes tel que celui du Président de l’Université du Caire.

EEChO : On a entendu parler de l’établissement de Beit El-Eila (Maison de la famille) formée de religieux chrétiens et musulmans, comment évaluez-vous sa performance dans la résolution des conflits ?

« Beit El-Eila » est un projet établi par le président de la république et coprésidé par le Grand Imam d’Al-Azhar et du Pape de l’église copte. Ce projet représente justement la triste position que l’Etat adopte, à savoir la violation de la loi et le renforcement d’une manière de résoudre les problèmes à l’amiable loin des canaux judiciaires légaux : ceci favorise la fuite de la justice, sous le patronage de l’Etat. Par exemple, voyez l’incident d’Al-Amereya (des émeutes fomentées pour empêcher la construction d’une église) quand des agressions contre les Coptes n’ont abouti qu’à une session établie par Beit El-Eila. Le cas le plus flagrant fut celui de la vieille femme qui a été agressée par des jeunes musulmans et qui a été déshabillée à Menya (Haute-Egypte) suite à un problème confessionnel dans le village. Beil El-Eila voulait régler l’affaire amicalement sans recours à la police, et ce sont les activistes qui avaient exigé la justice.

EEChO : Que pensez-vous des efforts de l’Etat pour sécuriser des églises pendant les fêtes ?

La question de la sécurité policière devrait se poser en dernier essor ; celle qui devrait se poser en premier lieu concerne le rôle de l’Etat relativement au discours religieux [islamique] et comment y faire face, et concerne aussi la diversité sociale c’est-à-dire la représentation de l’ensemble des composantes communautaires dans la sphère politique officielle. Ce n’est qu’après la solution effective de cette double question qu’on pourra parler de la sécurité policière qui protège – comme une ultime solution. Au reste, si l’on considère que cette dernière aurait dû être la solution première, on constate que l’Etat a échoué dans toutes ses tentatives d’y arriver, car, depuis juin 2014, on a constaté l’augmentation des attaques contre des églises malgré la présence de la protection policière !
Citons quelques exemples de cet échec : le tir de la police à distance contre les agresseurs et l’absence de la confrontation avec ceux-ci de face ou de près, comme dans le cas de l’église évangélique à Fayoum en 2015, ainsi que la mise en place de bombes dans l’église de Youssef El-Nagar et dans l’église évangélique du gouvernorat d’El-Charkeya, et dans l’évêché de Tanta, en 2016, et en 2017, la pénétration de terroristes avec des explosifs dans l’église d’El Botrosseya au Caire et à Tanta, ainsi que dans la cathédrale El Morkosseya. Il est significatif de rappeler que les agents de sécurité tués dans ce dernier attentat étaient assis loin de l’église, mais ils furent touchés par l’explosion de la bombe ! Et n’oublions pas le dernier attentat contre l’église Mar Mina de Helwan, où le terroriste se trouvait dans la rue durant 45 minutes, sans que réagisse aucun des agents de sécurité qui protégeaient l’église. Le régime égyptien a échoué dans ses réalisations de sécurité sur le terrain, et ce n’est donc pas dans son intérêt d’en parler.

EEChO : Que pensez-vous de la dernière loi sur la construction des lieux de cultes ?

Notre organisation a fait une importante campagne d’information autour des problèmes et des lacunes de cette loi, en raison de l’insistance de l’Etat sur des articles qui visent certaines conditions telles que la surface de construction. Il existe une grade contradiction entre cette loi et celle des anciennes constructions, (sans parler des cas d’exception), on a pu le constater pendant la construction de l’église évangélique au village d’El Rianeya au gouvernorat de Sohag (Haute-Egypte). La construction de cette église n’était possible que sur du terrain agricole, et cette question a été utilisée par le gouverneur pour décréter l’arrêt de la construction (en utilisant la force de la loi qui interdit la construction sur des terrains agricoles). Pour résoudre cette contradiction, on a essayé de résoudre ce conflit de lois par un changement d’appellation – en disant que le bâtiment était prévu pour la prière seulement.

EEChO : Avez-vous des statistiques sur le taux d’émigration des Coptes ?

Il n’existe pas de chiffres précis, mais on pourrait constater qu’après la révolution du 30 juin 2013, les causes de l’émigration sont devenues plus économiques que religieuses. Cela ne signifie pas que cette dernière ait disparu, mais simplement que la persécution n’est plus la seule cause.

EEChO : Il est connu qu’une bonne partie des Coptes soutient le régime ; pensez-vous que ce soutien se traduira dans les prochaines élections présidentielles (mai 2018) ?

C’est vrai qu’une bonne partie des Coptes soutient le régime actuel, en raison de la pression et la propagande médiatique de l’Etat qui propagent la peur, la crainte de la pluralité politique et l’appréhension d’un complot extérieur conduit par les Américains et les Européens qui voudraient diviser l’Egypte, à l’exemple de l’Irak et la Syrie, dans le but de déstabiliser la paix nationale.
Ces médias mènent une campagne de guerre contre ces influences étrangères, tout en négligeant des solutions réelles au terrorisme, ce qui pousse « les Coptes » craintifs et inquiets pour leur avenir sous une gouvernance islamique, à soutenir le régime actuel. Je crois que le taux de participation en général aux élections prochaines sera faible, car il y a une différence entre soutenir le régime et la réélire le même président, en particulier, en raison du déficit du bilan de son mandat, au niveau de la citoyenneté. Cela malgré l’appel de l’église à voter pour [le Président] Al-Sissi.

EEChO : A votre avis, quel sera l’avenir des Coptes en Egypte ?

Pour nous la situation est plus que préoccupante, surtout pour les classes pauvres, en raison de la précarité économique. Ces classes sont devenues de plus en plus appauvries et marginalisées, tandis que les riches deviennent de plus en plus riches et dominateurs. L’absence d’un mécanisme économique pour aider les classes moyennes conduira forcement, à une explosion sociale nouvelle qui menacera la stabilité politique de l’Etat.
Dans ce cas de figure, nous craignons que les mouvements intégristes, souvent utilisés par le régime, gagnent plus de terrain et créant davantage de problèmes à la plus grande minorité chrétienne du Moyen-Orient.

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Voir aussi ce document qui fut déposé auprès du Congés américain le 22 janvier 2018 – en traduction française : 44 questions à poser aux autorités égyptiennes pour apporter des solutions aux problèmes d’égalité citoyenne des Coptes en Égypte.

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