Génocide arménien: manifestation le 18 mai devant le Sénat

Le 18 mai à 18 h devant le Sénat,
manifestation demandant des sanctions contre ceux qui bafouent la loi reconnaissant le « génocide arménien ».

Un génocide non reconnu ne peut pas être refermé

______Après la guerre, la reconstruction politique allemande s’est faite sur la reconnaissance des crimes hitlériens et sur le rejet de ce système totalitaire et de ceux qui en portaient la responsabilité. Ces derniers ont été jugés et leur rejet est resté unanime. Et l’Allemagne est devenue un modèle de démocratie et de développement.

______Avec la Turquie, rien de tel. L’État turc était passé aux mains des « jeunes Turcs » suite aux révolutions internes de 1908 et 1913, quoique l’autorité théorique restât du Sultan ; leur vision était de faire de ce qui restait de l’Empire ottoman un ensemble homogène « turc » et musulman.  Avant 1894, un tiers de la population de la Turquie était chrétienne (arméniens, assyro-chaldéens, syriaques, grecs). Aujourd’hui, 0,2 %. Déjà, en 1894-1896, d’immenses massacres avaient eu lieu en Cilicie (300 000 victimes) ; l’élimination de tous les chrétiens de l’Empire était l’étape suivante. Les historiens en connaissent aujourd’hui tous les ressorts. Du reste, beaucoup de journaux, à l’époque, avaient déjà bien compris et dénoncé la situation.

______La terrible guerre 14-18 fournit le cadre et le prétexte de l’extermination ; et le facteur déterminant en fut une planification rigoureuse, fruit d’une volonté politique sans faille. Celle-ci fut appliquée à partir du 24 avril 1915 à Istanbul, puis partout selon des ordres et une méthode identiques : d’abord arrêter et éliminer les cadres chrétiens (clergé, hommes politiques, journalistes, etc.), puis, dans un second temps, tout le peuple. L’implication de jeunes officiers allemands (alliés des Turcs) n’était pas étrangère à l’aspect méthodique de ces tueries à grande échelle ; 25 ans plus tard, certains de ces officiers se trouvèrent être des généraux, notamment dans les « SS »; ils savaient comment procéder. À quelques héroïques exceptions près, la complicité des autorités civiles (toutes musulmanes) fut générale, ainsi que celle des populations turques et kurdes. L’extermination des chrétiens avait été décrétée comme Jihad, c’est-à-dire en tant qu’obligation religieuse. Cependant, courant 1916, le gouvernement turc se retourna contre les Kurdes génocidaires dont 700 000 furent déportés puis, pour la plupart, tués. Dans ces massacres programmés, le gouvernement turc s’appuya en particulier sur les Tcherkesses ou Circassiens du Caucase.

______Au total, ce sont près de deux millions d’Arméniens, de Chaldéens-Assyriens, de Syriaques et d’autres chrétiens qui furent assassinés au long des routes de la mort, loin des villes, dans des lieux discrets et dans le désert de Syrie. Les victimes étaient divisées peu à peu en groupes d’environ une centaine, puis assassinées, femmes et enfants compris, la plupart du temps au terme d’atroces souffrances. Ce système redoutablement efficace était planifié depuis Istanbul par des responsables mêmes qui, jusqu’en 1915, avaient loué la loyauté des chrétiens à l’Empire. Mais c’est le prétexte qui fut donné aux population musulmanes, en plus de l’obligation du Jihad : la propagande présenta les populations chrétiennes comme un « danger » dont il fallait se débarrasser. Cette fable qu’aucun historien ne peut défendre forme aujourd’hui encore la justification turque du génocide… que la « saison de la Turquie » a osé présenter à Paris en 2009.

______Non seulement la Turquie nie la réalité du génocide tout en le justifiant, mais elle l’a en quelque sorte poursuivi. En 1920, bafouant le Traité de Sèvres, Mustapha Kémal envoie ses armées envahir les petits Etats arménien et assyrien constitués pour la sauvegarde des rescapés, tuant tout sur leur passage. En 1922, la France, qui avait libéré la Cilicie et l’administrait, la cède aux Turcs, provoquant des pogroms et la fuite des populations non musulmanes qui s’y étaient réfugiées. Smyrne, ville grecque, est attaquée et incendiée. La bassesse des démocraties face au pouvoir turc dit « laïc » aboutit au « Traité » de Lausanne (1923), qui organisa la déportation du million et demi d’orthodoxes grecs, après que 300 000 d’entre eux aient été tués.

______En 1919, sous le gouvernement  libéral (qui dura deux ans), le procès eut lieu d’une poignée de génocidaires, dont beaucoup étaient absents ; deux furent condamnés à mort et exécutés. Le nouveau gouvernement kémaliste qui succéda les absout et la cour martiale fut dissoute. De nombreux ministres étaient eux-mêmes des génocidaires. Le génocide devient un sujet interdit (plusieurs intellectuels ont été récemment condamnés pour l’avoir simplement évoqué). La Turquie ne s’est pas défait de ce qu’elle est depuis Atatürk : un État qui a exterminé un tiers de sa propre population (sauf ceux qui ont réussi à fuir). Un génocide nié est un génocide qui continue sous d’autres formes.

______Parmi ces formes il faut compter l’éradication des vestiges culturels. On peut évidemment le constater dans tous les pays arabo-musulmans, et aussi en Azerbaïjan ; la Turquie supposée laïque n’y échappe pas, ni même la partie de Chypre que l’armée turque a envahie en 1974 et d’où les habitants grecs furent bannis : leurs cimetières et églises sont aujourd’hui profanés ou détruits. Rappelons également que les tracasseries voire les exactions subies par le Patriarcat Orthodoxe de Constantinople n’ont jamais cessé. Et en août dernier, à Istanbul, de nombreuses maisons chrétiennes ont été marquées par des signes distinctifs verts ou rouges (verts si les habitants sont arméniens ou supposés tels, rouges s’ils sont grecs ou autres), comme cela avait été le cas juste avant le pogrom de 1955 (cf. bulletin d’EEChO n° 8).

______Prenons-nous la mesure exacte de ce « génocide chrétien », comme l’a qualifié le Parlement suédois ? C’est d’abord en raison de la foi que deux millions de chrétiens ont été assassinés, les témoignages de rescapés ou de témoins européens l’attestent amplement : avant de les tuer, les Turcs ou les Kurdes leur proposaient souvent de devenir musulmans. Le fait que s’y mêlent une dimension de purification ethnique et que quelques Arméniens musulmans aient été tués également ne modifie pas le fond de la question, ni le fait que des populations kurdes aient été massacrées ensuite. Dans l’imaginaire théologique musulman passé ou actuel, une fois que le pouvoir a été pris par l’Islam, les populations majoritaires (non musulmanes) cessent d’exister – elles sont considérées comme étrangères comme le rappelle Ahmet Insel, et donc doivent cesser d’exister tôt ou tard. Dans les faits, c’est toujours une telle politique qui est suivie par les systèmes islamiques dès qu’ils se fanatisent – et aujourd’hui encore. L’Église latine n’a jamais reconnu comme martyrs un groupe de plus d’une centaine de chrétiens à la fois, et ici il s’agit de deux millions, dont, pour la plupart, les noms et les corps sont perdus à jamais. Une démarche commune serait nécessaire : ces martyrs appartiennent à toutes les Communautés chrétiennes alors présentes en Turquie. Cette reconnaissance est la clef de la paix et du pardon ; loin d’être une provocation, elle est indispensable pour aider les musulmans à sortir d’une culture de violence jihadique (et souvent ethnique) dont ils sont eux-mêmes les premières victimes aujourd’hui, comme l’actualité ne cesse de le montrer.

P. Edouard-M. Gallez, Joseph Alichoran, …

Pour se documenter : http://denisdonikian.blog.lemonde.fr/ ou http://denisdonikian.blog.lemonde.fr/category/0-organisation-generale-des-fiches/
http://www.genocide-museum.am/eng/photos_of_armenian_genocide.php
http://www.globalarmenianheritage-adic.fr/fr/6histoire/a_d/19_jaures1896an.htm
Carte des routes de la mort ( »deportation »)-1
Carte des routes de la mort ( »deportation »)-2 http://www.imprescriptible.fr/
Site assyrien en allemand

Bibliographie très partielle :

LES-CHRETIENS_AUX-187x300 • Joseph Alichoran / Père Joseph Réthoré, Les Chrétiens aux bêtes, Cerf, 2005

• Gabriele Yonan, Ein vergessener Holocaust. Die Vernichtung der christlichen Assyrer in der Türkei, Pogrom 148/149, Göttingen und Wien, 1989, 422 Seiten (ce livre a traduit ensuite en turc et publié dans une petite maison d’édition à Istanbul ! / une traduction existe en français mais n’est pas encore publiée)

• Joseph Yacoub, Les minorités. Quelle protection ?, Desclée De Brouwer, Paris, 1995, 398 pages.

• Mgr Jean Naslian, Mémoires sur les événements politico-religieux en Proche-Orient de 1914 à 1928, Beyrouth [1955] 2008, 1030 pages

• Yves Ternon, Les Arméniens, histoire d’un génocide, Seuil, 1977 /1996 ; La Cause Arménienne, Seuil, 1983 ; Enquête sur la négation d’un génocide, Parenthèses, 1989.

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