Être chrétien à Jérusalem hier et aujourd’hui

Souveraineté sur Jérusalem et accès aux lieux saints chrétiens

par Olivier Josselin

La reconnaissance par le président américain Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël pose avec acuité le problème de l’accès aux lieux saints qui ne sont pas que des lieux de culte mais un ensemble d’institutions. Cette reconnaissance s’est faite sous l’influence des sionistes évangéliques qui constituent 25% de la population étasunienne. Celle-ci valide la volonté israélienne de posséder entièrement Jérusalem comme propriété juive au détriment des deux autres religions monothéistes. Ainsi, la question de Jérusalem revient au cœur du conflit avec le danger de voir éclater tous les compromis qui régissaient la ville sainte et ses communautés.

Rappel historique et droit international sur les lieux saints chrétiens

Après le chaos consécutif à la destruction du Temple de Jérusalem en 70 et la ruine définitive de la ville juive en 135, l’autorité romaine reconstruisit la ville sous le nom d’Aelia Capitolina. Une population chrétienne d’origine araméenne et païenne se développa et des juifs se convertirent au christianisme. Quand cette religion fut reconnue par l’Empire en 313, Constantin fit ériger sur le tombeau du Christ, à Jérusalem, la basilique de la Résurrection (Saint Sépulcre) et sur le lieu de sa naissance à Bethléem, celle de la Nativité. De nombreux autres sanctuaires furent bâtis sur les lieux de la vie de Jésus et la ville sainte devint à majorité chrétienne. Les musulmans arrivés en 638 s’entendirent avec les chrétiens concernant la garde des lieux saints, c’est ce qu’on appelle le pacte d’Omar, la garde du Saint-Sépulcre fut confiée par Omar, puis Saladin, à

deux familles palestiniennes musulmanes, les Nusseibeh et les Joudeh, garde qu’elles exercent encore aujourd’hui. Parmi les Capitulations, ces accords signés du XVIème au XVIIIème siècle, entre le sultan ottoman et les souverains occidentaux, celles passées entre Soliman et François Ier ont accordé un statut spécial à la France pour la protection des lieux saints et des chrétiens de l’Empire. Si les firmans du 15 avril 1767 favorisèrent les orthodoxes qui s’emparèrent de la totalité du Saint Sépulcre, celui du 8 Février 1852 rétablit latins et arméniens dans leurs droits acquis au cours des siècles. Ces firmans constituent ce qu’on appelle le STATU QUO qui entra dans le droit international parle traité de Paris de 1856 et celui de Berlin de 1878 et fut maintenu tel quel par le Mandat britannique. Le statu quo répartit avec minutie les droits de chaque communauté dans les lieux saints.

L’Assemblée générale des Nations-Unies adopta, le 29 novembre 1947, sa résolution 181, qui prévoit le partage de la Palestine et, pour Jérusalem, le statut de corpus separatum administré directement par un conseil de tutelle nommé par l’ONU. La résolution précise concernant les lieux saints : « Il ne sera porté aucune atteinte aux droits existants concernant les lieux saints et édifices religieux, la liberté d’accès sera garantie entièrement même pour les étrangers et pour les citoyens des états arabe et juif à créer et aucun impôt ne sera perçu sur les lieux saints édifices ou sites religieux qui en étaient exemptés lors de la création de l’Etat ». Le statu quo ottoman a été respecté par la Jordanie et l’Autorité palestinienne jusqu’à aujourd’hui : ce statut englobe les lieux de culte et toutes les œuvres sociales religieuses et culturelles associées pour la population palestinienne et les pèlerins.

La politique vaticane et baisse du nombre des chrétiens palestiniens

Les Eglises orthodoxes et catholiques, comme le Vatican, ont été très affectées par l’expulsion des Palestiniens de Jérusalem-Ouest et de Jaffa en 1948, à plus de 50% chrétiens. Au départ, le Vatican voulait l’internationalisation pour laisser les lieux saints hors du conflit judéo-arabe, mais, confronté à la baisse continue de la présence chrétienne palestinienne, il pencha pour une plus grande ouverture aux aspirations palestiniennes, en développant le clergé et les universités chrétiennes et en nommant les patriarches Michel Sabbah (Palestinien – 1987-2006) et Fouad Twal (Jordanien – 2007-2016). Un administrateur apostolique, Mgr Pierbattista Pizabella, ancien custode franciscain de Terre sainte, leur succède aujourd’hui.

A Jérusalem-Est les chrétiens représentaient, en 1967, 17% de la population et ne sont plus que 1,9 % aujourd’hui, ce qui met en danger la présence chrétienne et le caractère multiconfessionnel de Jérusalem. Les pèlerins qui y viennent sont presque tous chrétiens et les Eglises y possèdent encore une grande partie des biens fonciers, qui permettent de porter assistance à la population palestinienne. C’est de ces biens que l’Etat israélien veut maintenant s’emparer officiellement depuis qu’a été votée, le 19 juillet 2018, la loi sur l’état-nation du peuple juif. L’accord de 2000 entre le Vatican et l’OLP demandait la reconnaissance de l’identité particulière de Jérusalem, de son caractère sacré historique et culturel pour tous, ce que le pape François a repris dans son accord avec le roi du Maroc, le 31 mars 2019, accord qui nomme Jérusalem par son nom arabe ALQUDS AL SHARIF, le Vatican y exprime le désir de répéter le geste de partage de Richard Cœur de Lion et de Saladin en 1197. Le pape François et le conseil œcuménique des églises ont condamné dès le 7 décembre 2017, la déclaration de D. Trump et demandé que tous s’engagent à respecter l’identité propre et le caractère universel de la ville, son héritage religieux et culturel, le statu quo.

Main basse sur le tourisme de pèlerinages

Après avoir annexé officiellement Jérusalem-est en 1980, proclamant la ville « capitale éternelle d’Israël et du peuple juif » les autorités israéliennes ont mis la main sur le tourisme des lieux saints et les pèlerinages, principale source de revenus touristiques de la Palestine. Les agences de voyages palestiniennes ont perdu leurs fonctions, les guides partis à la retraite n’ont pas été remplacés, une loi de 1985, stipule que les guides de pèlerinage doivent être certifiés par le ministère du tourisme israélien et guider les pèlerins sur des itinéraires imposés : par exemple, les pèlerins qui visitent Bethléem n’y restent qu’une demi-journée et n’y logent pas malgré la présence de nombreux hôtels.

La municipalité israélienne de Jérusalem fait tout pour pousser à la fermeture les hôtels palestiniens de la ville arabe : cas emblématique, les Hôtels New Imperial et Petra situés à la porte de Jaffa, propriété du patriarcat orthodoxe, mais loués à des gestionnaires palestiniens depuis l’époque jordanienne, ont été achetés par des colons par l’intermédiaire de sociétés américaines écrans. Le scandale déclenché par cette vente a entrainé la destitution du patriarche Ireneos, soutenu par les autorités israéliennes, en 2006. Le 21 juin2019, la Cour suprême d’Israël a validé cette vente. Les autorités religieuses chrétiennes ont dénoncé une volonté délibérée d’étouffer le quartier chrétien et l’ensemble de la vieille ville.

Politique israélienne vis à vis des chrétiens palestiniens

L’Etat d’Israël promettait dans sa déclaration d’indépendance du 15 mai 1948 « d’assurer la sauvegarde des lieux saints de toutes les religions selon les principes de la charte des Nations Unies ». Après l’occupation de Jérusalem Est, au lendemain de la guerre dite « des six jours », la Knesset vota le 27 juin 1967 la loi sur la protection des lieux saints assurant la liberté d’accès pour les croyants des différentes religions, mais les ingérences directes de l’Etat juif dans les affaires internes des Eglises se sont multipliées après 1967.

En février 2018, les patriarches latin, grec orthodoxe et arménien et les autres églises ont, en signe de protestation, fermé le Saint-Sépulcre pendant huit jours et il a fallu l’intervention de Vladimir Poutine pour faire plier Netanyahou, qui voulait faire voter par la Knesset, une loi imposant le paiement aux églises chrétiennes de plusieurs milliards de shekels, soit des arriérés d’impôts depuis 1949. Or, les Eglises sont totalement exemptées d’impôts depuis l’époque ottomane et la résolution 181 prévoit cette exemption (cf. plus haut). Depuis mars 1993 et l’occupation du couvent St Sauveur par des colons, les chrétiens palestiniens de Cisjordanie ont été interdits d’accès à Jérusalem, sauf à Noël et à Pâques, et encore, pas les jeunes. Les chefs des églises de Jérusalem ont rappelé le 8 décembre 2017 que déclarer Jérusalem capitale d’Israël est du faux messianisme, et revient à favoriser la haine, la violence et la souffrance. Dans une déclaration de janvier2019, Atallah Hanna,vicaire patriarcal orthodoxe, affirmait que le statu quo, malgré son caractère désuet, est le principal verrou qui empêche l’israélisation complète de Jérusalem. Car, l’israélisation et la judaïsation effrénées de Jérusalem font courir le risque d’une déflagration planétaire à base religieuse.

Source : CVPR, n°74 – p. 17

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2 thoughts on “Être chrétien à Jérusalem hier et aujourd’hui

  • 12 novembre 2019 at 11 h 25 min
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    Un grand merci à Poutine d’avoir pu obtenir du premier ministre israélien l’annulation des mesures fiscales à l’égard des églises. Poutine a de bonnes relations personnelles avec Netanyahou, avec la communauté juive russe et avec la droite nationaliste israélienne et c’est important de les cultiver, précisément pour empêcher ce genre de mesures et faire pression amicalement quand il faut. Il y a des excités de tous les côtés qui mettent de l’huile sur le feu. La bienveillance et la charité devrait aider à régler ces problèmes.

    On peut aussi dire que Tel Aviv est la capitale du peuple juif mais c’est peu réaliste de croire qu’on pourra convaincre qui que ce soit chez les chrétiens évangéliques qui ne font confiance qu’en la Bible, sans parler des juifs qui pleurent la perte de Jérusalem depuis deux mille ans. Mais bon, c’est la position de beaucoup de pays qui disent à Israël de choisir une autre capitale. Pendant longtemps, la catholiques ont refusé que Rome devienne la capitale de l’Italie mais le poids de l’histoire a été plus fort. Mais bon, il faut faire pression auprès des dirigeants israéliens pour que les droits des chrétiens soient maintenus et aussi et surtout pour que les Juifs pour Jésus, les juifs qui reconnaissent Jésus comme Messie et Dieu, ne soient pas exclus et persécutés. Car il faut espérer que les juifs
    messianiques finiront par devenir majoritaires en Israël car comme dit saint Paul : « Car si leur perte est la réconciliation du monde, que sera leur rappel, sinon la vie sortant de la mort ? »

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  • 12 novembre 2019 at 23 h 28 min
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    JE savais que l’antipape François zéro était une catastrophe,mais qu’il ait signé un texte nommant Al-Qods Jérusalem dépasse tout.Au passage,une inscription égyptienne datant(de mémoire,je peux me tromper à 100 années)parle bien de Jérusalem.Il me semble aussi qu’Israël soit le seul pays du MO où le nombre de chrétiens ait augmenté.

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