Bouddhisme : la fraude de Lumbini (Népal)

Quand l’UNESCO nourrit une vieille fraude archéologique

Au Népal, non loin de la frontière indienne, l’Unesco situe le lieu de naissance et d’enfance du Bouddha tel que les encyclopédies occidentales le présentent, ayant vécu au 6e siècle avant notre ère. Il s’agit du village de Lumbini, assimilé à la mythique ville de Kapilavistu de certains récits bouddhistes (très tardifs).
Ce lieu est le 666e à avoir été classé au titre de patrimoine mondial de l’humanité :
https://whc.unesco.org/fr/list/666.
Que trouve-t-on sur place ? Après 2011, on a entrepris des fouilles sous le temple de Maya Devi ; on y a trouvé des strates d’habitations, dont certaines seraient antérieures à notre ère ; mais tout y est interprété en fonction de l’attribution bouddhiste préétablie. On n’y a pas trouvé la moindre trace d’un artefact bouddhiste caractéristique. Cette attribution est apparue à la fin du 19e siècle lorsqu’un officier britannique imagina un lien entre ce lieu et l’histoire bouddhique. Jusqu’alors, il n’existait même pas de tradition locale relative à l’enfance et Bouddha là, ce qui constitue un indice très négatif quand on connaît la fiabilité des traditions orales locales.
Concrètement donc, il n’y a là rien de bouddhiste, sinon un temple récent et des jeux de conjectures.
Il y a de nombreuses années déjà que cette localisation a été dénoncée comme une imposture par un ancien chercheur du British Museum, A. Phelps :
http://www.sljaki.com/related/phelps-lumbini.html. Beaucoup de Bouddhistes n’accréditent pas cette « découverte » faite par un Occidental et diffusée par la littérature et les médias de l’Occident. Il faut la replacer dans le cadre de l’histoire de la bouddhologie (universitaire), dont on n’a pas fini de parler. Marion Duvauchel nous y aide en cet article.

La fraude archéologique de Lumbini

 Marion Duvauchel
auteur de La chrétienté disparue dans le Caucase (l’histoire eurasiatique du christianisme)
voir aussi eecho.fr/leurope-et-la-fabrication-du-bouddhisme.

__ Tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’Inde n’ignorent pas l’importance que l’on accorda à compter de 1801, date de la première découverte, aux fameux piliers d’Açoka, empereur de cette dynastie maurya qui unifia l’Inde pour la première fois de son histoire. Tout l’indianisme entra en émoi. Et quand un ingénieur anglais déchiffra l’alphabet inconnu dans lequel ces ordonnances étaient rédigées, cela ouvrit une perspective nouvelle de recherche : enfin, on avait une date.

__ Il fallut encore 50 ans environ pour qu’on publie le corpus des inscriptions du roi Piyadasi-Asoka aimé des dieux. C’est Sir Cunningham qui s’en chargea à la demande de Lord Cuzon. Jules Bloch en fit une première traduction commentée, puis Émile Sénart reprit le dossier et posa les repères pour une histoire linguistique de l’Inde, que l’on s’empressa d’oublier mais qui avait du génie. On s’ingénia à établir que non content de s’être converti au bouddhisme le roi Piyadasi avait largement contribué à la diffusion de la « Loi » dans toute l’Asie.

__ Mais quand, à compter de 1897, à l’endroit où la tradition fait naître le Bouddha, on découvre un pilier dit de Lumbini, alors, l’indianisme français en sort extatique. Le roi Asoka y témoignait que «  vingt ans après son sacre, étant venu en personne, a rendu hommage (car) : Ici le Buddha naquit, l’ascète des Çâkyas. Et il a fait faire une ânesse de pierre et fait ériger une colonne de pierre (pour rappeler que): Ici le Seigneur naquit. (En souvenir de quoi), il a fait la commune de Lumbini exempte de taxe et comblée de biens. » Auguste Barth, éminent sanskritiste assura la traduction de ce texte.

__ En bref, le roi a fait un pèlerinage au lieu-dit de la naissance du Bouddha, y fait graver sur un pilier quelques lignes et il exempte la ville de tout impôt. Tout cela fit l’objet de communications officielles par d’éminents orientalistes devant d’autres éminents orientalistes.

__ En 1897, l’archéologue Anton Führer organisa des fouilles (financées par le gouvernement népalais) sur le lieu même et rédigea un petit ouvrage dans un anglais dénué d’élégance – jamais traduit en français ni, à ma connaissance, en allemand et pour cause –, dans lequel il exposait le résultat de ses fouilles. C’est-à-dire rien…

__ Alors qu’il fait un voyage en Inde et au Japon, Sylvain Lévi, celui qui va donner à l’indianisme français sa stature institutionnelle, visite les fouilles de l’archéologue. De retour en France, il fait de ce voyage, le 27 janvier 1899, devant l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, un rapport qui comprend quelques lignes de témoignage sur les fouilles de Kapilavastu :
«(…) une plaine de rizières unie et nue, qu’aucune tradition locale ne consacre. Un fakir sordide autant qu’ignorant servi par un enfant de rencontre a bâti sur le tas de ruines une chapelle où il adore une statue de hasard tirée des décombres. Il l’a baptisée Rupan Devi. Pourquoi ? Il l’ignore lui-même, mais la déesse ne manque pas de dévots. Impossible d’éventrer le sol ».

Si l’indianiste est si inquiet de cette dévotion à Rupan Devi, c’est que toute cette vénération a des conséquences : on asperge beaucoup le pilier et cela risque évidemment d’endommager à la longue les inscriptions et de les rendre illisibles.

En ce qui concerne les jardins de Lumbini, il n’y a tout simplement rien.

Sur quels fondements la légende s’est-elle construite ?

Sur rien. Le Lalitavistara, ou Vie de Bouddha dont on peut voir fleurir régulièrement de nouvelles éditions pour les bouddhisants ou yogatisants de nos campagnes françaises est un tissu de sottises ahurissantes et de merveilleux. On ne peut que se demander comment des orientalistes sérieux ont laissé pareille légende, fondée sur des faits ténus, voire inexistants, se diffuser et s’imposer ? Car pour ceux qui se tiennent pour bouddhistes dans les régions du monde tenues pour telles, il importe peu que le Bouddha ait existé ou pas.

__ En 1898, sur instructions officielles du gouvernement indien, Führer est relevé de ses fonctions, ses papiers saisis et ses bureaux inspectés par Vincent Arthur Smith, un autre indianiste, qui organise une confrontation au sujet de sa publication archéologique et obtiendra, semble t-il des aveux.

__ En 1933, le mythe était encore vivace et lors d’une séance de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Alfred Foucher, l’homme qui inventa l’art du Gandhara et l’artiste métis de mère indienne et de père grec qui sculpta le premier bouddha, lisait la note suivante :
« L’ Académie se souvient qu’Auguste Barth l’a entretenue en 1897 d’une découverte sensationnelle qui venait d’être faite dans le Teraï népalais : le fût à demi brisé par un coup de foudre, mais toujours in situ, d’une gigantesque colonne monolithe érigée par l’empereur Açoka vers le milieu du IIIème siècle avant notre ère, portait gravée une inscription explicite : « Ici naquit le Bouddha Çàkya-mouni ». L’emplacement de ce parc Lumbinî où, nous disent les textes, la reine Mâyâ fut surprise par les douleurs de l’enfantement, était donc retrouvé de façon certaine. Sur les instructions de S. A. le mahâràdja du Népal Joudha Shumshere, le général Kaisar a repris au mois de février dernier l’exploration de ce site fameux. La saison, déjà très avancée, ne lui a permis de faire qu’une rapide reconnaissance, mais il se propose d’entreprendre cet hiver une campagne régulière de   fouilles ; et — à raison des excellentes relations d’ordre scientifique que, grâce aux missions de M. Sylvain Lévi, nous entretenons avec le Gouvernement du Népal — S. A. a bien voulu promettre que le résultat de ces fouilles nous serait aussitôt communiqué. »

__ Si l’on en croit les textes, et je ne vois aucune raison de ne pas les croire, il n’y eut pas de douleurs de l’accouchement. Au moment de la naissance du Bouddha, toute la nature est en quelque sorte suspendue, et cette naissance est d’une inexprimable élégance : la reine, qui va de bosquet en bosquet et regarde les arbres, saisit une branche, baille et s’immobilise. Le boddhisattva profite alors de ce moment de distraction pour sortir de son sein droit sans la blesser.

__ On conçoit le jugement que formula Renan : « Ivre de surnaturel, égarée par le goût dangereux qu’elle a de jouer avec l’infini et de se perdre dans de folles énumérations, l’Inde pousse à l’extrême sa chimère, et viole ainsi la première règle de la fantaisie religieuse, qui est de délirer avec mesure et de feindre selon les analogies d’une certaine vérité ».

__ Grâce à la prévoyante lucidité de l’Unesco le site de Lumbini est devenu un lieu de pèlerinage bouddhiste et il fait partie du patrimoine universel. Des cars de pèlerins s’arrêtent quotidiennement avec leur cargaisons de bouddhistes ou de sympathisants qui viennent méditer sur ce grand mystère. Non contente de son site officiel, l’UNESCO organise encore des fouilles sur ce lieu supposé de la naissance d’un Bouddha dont rien au cours de trois siècles de recherche indianiste n’atteste l’existence incarnée ni l’historicité. Ce qui, avouons-le, est quand même bien embêtant…

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10 thoughts on “Bouddhisme : la fraude de Lumbini (Népal)

  • 10 juin 2020 at 18 h 30 min
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    très intéressant ! Merci au site .

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  • 12 août 2020 at 14 h 03 min
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    Même genre de fraude que pour toutes les découvertes archéologique concernant la période précédent l’exil en Palestine. Tout y est interprété selon les données de la bible compilé après l’exil. Aucune interprétation objective. Comme (pr ex.) pour le Temple de Salomon : Hérodote, presque 500 ans plus tard, avait « oublié » de le mentionner et pourtant, la distance géographique n’était pas si grande.

    Quant à la véracité de la bible : oui, je crois en Jésus Sauveur. Mais cela ne me n’oblige pas de gober tout ce qu’on me présente.

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  • 23 septembre 2020 at 5 h 46 min
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    Il aurait été honnête de parler de l’article sur ce sujet paru dans Le journal Antiquity en décembre 2013, relatant les fouilles sur ce site de 2011-2012.

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    • 23 septembre 2020 at 8 h 38 min
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      Dernier avertissement : les accusations gratuites n’ont pas leur place sur ce site. Vous en avez d’autres pour passer votre excès de bile.
      Les fouilles sont signalées dans l’article, même s’il n’a pas été possible de retrouver le lien vers le reportage qui les montre. De votre côté, vous ne donnez aucun lien vers cet article en anglais pour qu’on puisse en discuter.
      Au reste, si cet article avançait quelque argument sérieux, ne l’auriez-vous pas signalé ? Les arguments du genre « la revue MACHIN dit autrement donc vous avez tort » ne sont pas recevables sans justification rationnelle, désolé.

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  • 24 septembre 2020 at 8 h 36 min
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    L’article est facile à trouver puisqu’il est en référence dans l’article de Wikipedia.
    C’est un article publié dans la revue Antiquity de décembre 2013, revue à comité de lecture, disponible à l’adresse suivante : http://antiquity.ac.uk/ant/087/ant0871104.htm
    L’article faisant 20 pages, il est difficile de le résumer ici. Je vous en donne un passage :
    « Not only was there evidence of permanent constructions older than the Asokan temple but the presence of non-durable architecture had also been identified. Radiocarbon samples from two contemporary posthole fills (contexts 553 and 557) provided dates of 799–546 BC and 801–548 BC (Table 1), suggesting an extremely early delineation of sacred space within this locality, and pushing activity at Lumbini far before the reign of Asoka. », qui peut être traduit en :
    « Non seulement (ces fouilles) ont mis en évidence des constructions permanentes plus vielles que le temple d’Asoka, mais aussi la présence de constructions non-durables. Des analyses au Carbone 14 faites dans 2 trous de poteaux (contextes 553 et 557) ont donné des dates de 799-546 av. J.-C. et 801-548 av. J.-C. (Tableau 1), suggérant un tracé très ancien d’un espace sacré dans cette localité, et repoussant l’activité à Lumbini bien avant le règne d’Asoka. »
    Et un autre :
    « Therefore, not only are the investigations at Lumbini providing the first scientifically
    dated pre-Asokan architecture at a Buddhist shrine but potentially the first at a tree
    shrine. », que l’on peut traduire :
    « Ainsi, non seulement ces investigations ont permis de mettre au jour scientifiquement à Lumbini une architecture antérieure à Asoka dans un sanctuaire bouddhiste, mais potentiellement le premier arbre sanctuaire ».
    En ce qui concerne les jardins de Lumbini, il n’y a tout simplement rien.

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  • 24 septembre 2020 at 8 h 39 min
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    Excusez-moi, la dernière phrase de mon dernier message doit être remplacée par :
    Dans l’article ci-dessus, la phrase « En ce qui concerne les jardins de Lumbini, il n’y a tout simplement rien » est donc très étonnante.

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  • 24 septembre 2020 at 8 h 42 min
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    Cet article a été relayé de nombreuses fois (je me suis arrêté à 25), dont La Croix (26/11/2013), Le Point, Le Journal des Arts, National Geographic, Huffington Post, Swiss Info, Unesco, Bfmtv, Arte, Yahoo, Maxisciences…

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    • 24 septembre 2020 at 10 h 19 min
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      Merci pour vos trois commentaires.
      Ils confirment exactement ce que dit l’article :
      « Que trouve-t-on sur place ? On a fait des fouilles sous le temple de Maya Devi, et on y trouve des strates d’habitations, dont certaines seraient antérieures à notre ère ; mais tout y est interprété en fonction de la thèse bouddhiste ».
      Vous avez interprété : c’est ancien, donc c’est bouddhiste. Les peintures rupestres de Lascaux également sont bouddhistes à ce compte-là.
      Nous avons eu mille fois raison de ne pas perdre du temps à chercher l’URL de l’émission télévisée ou celle de l’article que vous citez : cela eût été pour rien.

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  • 24 septembre 2020 at 11 h 50 min
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    Si vous lisez attentivement l’article, les structures mises au jour ont des caractéristiques qui ont été interprétées comme celles d’un lieu sacré (taille du portail, délimitation de l’espace…).
    Si vous lisez également attentivement l’interprétation proposée, vous comprendrez que ce n’est pas moi qui ai interprété comme « ancien et donc bouddhiste ». C’est l’équipe d’archéologues qui a donné tous les indices permettant leur interprétation.
    Je ne pense pas qu’à Lascaux, quiconque ait fait ce type d’interprétation.
    En tout état de cause, la déontologie demanderait de citer ces fouilles et leur résultats, quitte à les critiquer avec des arguments. Cela me paraîtrait plus important que de commenter abondamment les fouilles du XIXe siècle.

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    • 24 septembre 2020 at 12 h 58 min
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      L’esprit critique ne semblerait pas être votre fort. La rationalité en effet demande des faits – des documents quand il s’agit d’histoire. La rumeur (« tout le monde dit que… ») ne suffit pas, et l’expérience nous apprend à nous en méfier beaucoup.
      Si Bill Gates, CNN et les médias mainstream vous disent que la lune est verte, vous répéterez que le lune est verte et vous attaquerez ceux qui disent que la lune n’est pas verte.
      Les soubassements ne permettent aucunement de parler de portail ni de quoi que ce soit qui indique une identité bouddhiste (à supposer qu’un portail soit bouddhiste en soi…). Or, il n’y a pas trace d’inscription, de statuaire, etc.
      Les archéologues que l’on voit dans le reportage étaient plein d’idées préconçues, mais n’apportent que des conjectures, pas l’ombre d’un indice réel. Je me souviens très bien du reportage. Le monastère bouddhiste est très récent, il a été bâti sur une ancienne construction que rien n’indique n’avoir jamais été un temple (bouddhiste ou autre).
      Quant à la déontologie, savez-vous ce que le mot signifie ? Pour nous, celui qui dit que la lune est verte ment, même si son message est répété par la presse mainstream : l’argument d’autorité est le plus mauvais. Et pire : si la presse mainstream sous perfusion financière dit une chose, il faut s’en méfier plus que jamais.
      « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge ; s’il est répété mille fois, il devient une vérité » (devinez qui a dit cela).

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